livres les vestiges qui nous restent de la bonté des rois pour leurs peuples, je viens à certains livres du moyen âge, où je trouve impôts sur impôts, je ne puis m’empêcher de dire en soupirant : Quelle différence des anciens temps à ceux qui sont plus voisins des nôtres ! Qu’on était au large dans ces premiers temps ! Qu’on est à l’étroit maintenant ! Plusieurs dynasties se sont suivies sans presque adoucir le joug. La vôtre, prince, a l’honneur d’avoir déjà bien commencé. Elle a presque réduit les levées aux droits ordinaires en grains et en étoffes. Quels éloges n’en a-t-elle pas déjà reçus dans les contrées les plus reculées ! Les rois que leur dignité élève au-dessus du commun des homme, doivent aussi porter la vertu plus haut. C’est leur devoir, c’est leur honneur, c’est leur véritable intérêt. Tai vang par le mépris qu’il fit d’un bijou, se soumit, et s’attacha un peuple entier. On nous représente au contraire dans l’ode Kié tchu, un roi odieux et malheureux, pour avoir surchargé ses peuples. Ainsi, quoique vos prédécesseurs aient porté loin la bonté pour leurs sujets, je souhaiterais pour l’honneur de votre règne, que V. M. y ajoutât encore.
Deux choses, dit-on, sont communément très funestes au prince. La trop grande libéralité des grands officiers, et son avarice propre. S’il est peu digne d’un prince, et même dangereux pour lui, d’ouvrir avec peine ses trésors, combien plus le sera-t-il de disputer à ses peuples le profit d’une saline ? On le dit, et il est vrai, il vaut bien mieux pour le prince faire des amas chez ses sujets, que d’en faire dans ses greniers et dans ses coffres. Quand les amas se font chez les peuples, ils sont contents, et le prince est riche. Quand ils se font uniquement pour les greniers, et pour le trésor royal, les peuples sont pauvres et mécontents. Lorsque les peuples sont mécontents, le moyen de les instruire avec fruit, et de leur inspirer avec succès l’amour de la vertu ? et tandis que les peuples sont pauvres, le prince peut-il être longtemps riche ? Je souhaiterais donc que V. M. enchérissant sur les bontés de ses ancêtres, voulût bien lever les défenses sur les salines, et faire seulement quelques règlements pour les entretenir et les conserver.
L’empereur ayant ordonné qu’on délibérât sur cette supplique, les principaux du conseil furent d’avis que la défense subsistât. Elle est très ancienne, dirent-ils, et dans les dynasties précédentes, quand on a délibéré sur cela, on a toujours conclu à la maintenir. Il est vrai que dans la suite des temps elle a occasionné des murmures et quelques troubles parmi le peuple. Mais ce n’est pas à cette défense qu’il faut s’en prendre ; c’est à la négligence, ou à la malice des commis.