Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/671

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vous indiquer doucement les choses, sentant que cela ne suffit pas, cherche comment y revenir. Mais n’y voyant point de jour, il prend le parti de se taire. Il s’y résout d’autant plus facilement, que quand il serait assuré de vous faire d’abord approuver ses propositions, comme étant importantes et raisonnables, il a toujours lieu de craindre que vos favoris ne les goûtant pas, vous ne changiez d’avis, et qu’il n’ait pour fruit de son zèle, qu’un affront de votre part. Les gens mêmes de votre suite, vos officiers, vos domestiques, qui sont sans cesse auprès de votre personne, vous redoutent tellement, que s’il s’agit de vous avertir de quelque chose qui puisse ne vous pas plaire, ils se regardent les uns les autres, et aucun d’eux n’ose parler. Comment les officiers du dehors oseront-ils vous représenter avec liberté tout ce que leur zèle leur inspire ? V. M. dans une de ses déclarations des plus récentes, dit : Quand mes officiers auront à me représenter quelque chose sur les affaires de l’État, ils peuvent le faire. Mais qu’ils ne s’attendent pas pour cela que je suive en tout ce qu’ils me proposeront J’ai peine à comprendre comment vous avez pu vous résoudre à vous exprimer de la sorte. Ce n’est assurément pas exciter les gens à vous donner de bons avis ; c’est bien plutôt les en détourner. Croyez-moi, il n’y a qu’un zèle bien généreux, qui porte un sujet à donner au prince des avis. On sait que c’est une chose délicate, et lors même que le prince y anime de son mieux, c’est beaucoup si dans l’occasion les plus courageux n’ont pas encore un reste de crainte, qui les empêche de tout dire. Vous exprimer donc comme vous faites, c’est d’une main ouvrir la porte aux avis, et de l’autre la fermer. On ne sait à quoi s’en tenir, et quel parti prendre. Le bon moyen de vous attirer d’utiles avis, c’est de les aimer réellement. Hoen roi de Tsi aimait certaine couleur violette. Tout le royaume en portait. Certain roi de Tsou marqua qu’il aimait dans les femmes une taille fine. Toutes les femmes de son palais jeûnaient pour se la procurer et il en mourut plusieurs pour avoir trop jeûné. Si dans de semblables bagatelles, le désir de plaire au prince a eu tant de pouvoir sur la populace même, et sur des femmes, que ne pourra point sur des officiers sages et zélés le désir de contenter le prince et de l’aider par de bons avis, si en effet il les aime ? Mais si le cœur n’y est pas, les paroles sont inutiles, et les apparences ne trompent point.


Tai tsong ayant lu ce discours y répondit de sa main en ces termes : J’ai lu avec attention votre discours d’un bout à l’autre : partout il est solide et pressant ; tel enfin que je l’attendais de vous. Je sens mon peu de vertu et mon peu de capacité. Je ne puis penser, sans une extrême confusion, aux grands princes des temps passés. Si je n’avais pas de si bons rameurs[1], comment pourrais-je passer sûrement un si large fleuve ? Comment sans des meitze[2] salés, assortir les cinq goûts dans une sauce ? Pour vous

  1. Symbole des ministres & autres grands officiers.
  2. Les meitze sont des fruits aigres, semblables à des abricots sauvages. On en confit au sucre ; on en confit au vinaigre, et on en sale pour servir aux sauces.