Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/729

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aussi Siue ouen yu comme son oracle. Il comptait par son secours d’agrandir et de faire fleurir son empire. Tant il est vrai que souvent les princes s’aveuglent sur ceux qu’ils emploient.

A vous entendre, dira quelqu’un, un prince ne peut donc avoir confiance en son ministre, quelque soin qu’il ait pris de le bien choisir. C’est très mal prendre ma pensée. Hoen kong roi de Tsi eut de la confiance en Kong tchong. Sien tchu roi de Chou en eut en Tchu ko leang. L’un et l’autre s’en trouvèrent bien. Mais aussi que conseillaient, ou qu’entreprenaient ces deux ministres, qui ne fut approuvé de tous les sages ? A-t-on jamais vu personne se récrier contre ce que les princes ordonnaient par leurs conseils ? Si ces deux princes avaient vu le gros des officiers donner des avis contraires, les peuples en gémir et en murmurer, est-il à présumer qu’ils eussent voulu poursuivre obstinément l’avis d’un seul homme, se rendre odieux à tous les autres, et s’attirer les malédictions des peuples ?

Il y a, ce me semble, en l’art de régner une difficulté encore plus grande. C’est d’écouter tout ce qu’on dit, et d’en juger sainement. Il vient chaque jour aux oreilles d’un prince des discours de bien des sortes. Tantôt c’est la flatterie qui parle, et qui emploie l’éloquence et l’artifice, pour se faire écouter favorablement. Tantôt c’est un zèle sincère à la vérité, mais sans égards, sans ménagements, et par là très importun. Écouter l’une et l’autre avec le discernement convenable, c’est une chose qui a sa difficulté, mais qui ne passe pas la portée d’un prince un peu éclairé et pénétrant. Comme la complaisance et la flatterie plaisent communément, surtout aux princes, trop de droiture et de liberté à leur résister, peut naturellement les choquer : en de semblables occasions ne se laisser ni surprendre ni irriter, c’est encore une chose assez difficile, mais qui ne demande après tout qu’une sagesse et une vertu ordinaire.

Quelle est donc la grande difficulté ? La voici. Il s’agit d’une entreprise considérable, les uns proposent au prince pour y réunir des moyens qui n’ont rien de fort difficile, qui sont selon les apparences assez plausibles, mais qui dans le fond sont peu sûrs. Les autres lui ouvrent un chemin qu’il voit bien conduire en effet où il veut aller ; mais le lui représentent si embarrassé et si plein de difficultés, qu’il paraît comme impraticable. Je dis qu’alors il n’est pas aisé au prince de juger sainement sur ce qu’on lui propose, et de prendre le bon parti. Un ou deux traits de nos histoires rendront ma pensée plus sensible.

Du temps que tout l’empire était en guerre, le prince de Tchao avait un officier de guerre nommé Tchao ko. C’était sans contredit l’homme du royaume qui parlait le mieux sur ces matières, aussi se donnait-il sans façon pour le premier homme en fait de science militaire. Son père qui était officier de réputation, et qui avait vieilli dans les armées, s’entretenait souvent avec ce fils sur l’art de la guerre, et jamais il n’avait pu l’embarrasser par ses questions. Malgré cela il ne le regardait point comme un homme capable de commander. Au contraire il disait souvent en soupirant : Si jamais mon fils commande, le royaume s’en trouvera mal. Le vieillard