ces maximes qui firent ainsi parler, chacun dans leur temps, Lou tché et Li kiang, ces deux grands ministres. Aujourd’hui que ces deux provinces, les plus belles de votre empire, qui fournissent plus qu’aucune autre aux dépenses de votre cour, et à l’entretien de vos troupes, sont dans une extrême disette, pouvez-vous ne pas vous presser de les secourir ? Là un grand nombre de vos bons sujets, comme autant d’enfants sans nourrice, réduits à l’extrémité, poussent des cris lamentables ; ou trop faibles pour les pousser, attendent, la bouche ouverte, de quoi prolonger un peu leur triste vie. Vous qui êtes leur père et mère, pourriez-vous n’être pas touché de leur misère ? Voudriez-vous, par une épargne malentendue, refuser de les secourir ? Mes collègues disent : cent ouan de riz, et vingt ouan de deniers, c’est beaucoup : pourvu que les magistrats de chaque ville, suivant la répartition qui en sera faite par des commissaires emploient cela fidèlement pour fournir du riz[1] clair aux pauvres ; on pourra passer avec ce secours, quand le mal serait tel qu’on l’a exposé. Pour moi je soutiens que de toutes les manières de subvenir à l’indigence des peuples, celle de distribuer ainsi du riz, est la moins[2] efficace et la moins bonne. Outre les autres inconvénients, il faut pour ces distributions assembler les pauvres. De ces assemblées naissent des maladies contagieuses. Ces maladies augmentent la misère. Non, quand on est véritablement touché de ce que souffrent les peuples, on ne prend point cette méthode, on ne se borne point à ces demi secours.
Mes collègues disent encore que c’est la coutume des peuples d’exagérer leurs pertes et leurs maux. J’avoue qu’en certaines années, quelque dérangement dans les saisons peut donner lieu à l’artifice, et quelques gens peu sincères peuvent saisir l’occasion de faire valoir leurs prétendues pertes. Mais cela ne peut avoir lieu dans la conjoncture présente. Il ne s’agit point ici d’une année à demi bonne, à demi mauvaise, et d’une stérilité qui soit équivoque. Elle a été des plus grandes qu’on ait vue. Les peuples obligés de quitter leurs domiciles, sont errants de côté et d’autre, réduits à la mendicité, et n’attendent que la mort : les soupçonner en cet état de contrefaire les misérables, vouloir douter de leur indigence ; n’est-ce pas bien de la dureté ?
On prie V. M. de nommer des commissaires, qui de la cour aillent sur les lieux, fissent mesurer les terres qu’on a pu labourer, parcourent toutes les villes et tous les villages, comptent les gens morts, les maisons ruinées, afin que, suivant leur rapport, on juge de la sincérité des avis donnés, qu’on punisse les magistrats qui auront trompé, et qu’on proportionne plus au juste la distribution des secours, aux besoins de chaque pays.