Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/781

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Pour moi je dis : c’est chose publique et notoire, que dans les lieux dont il s’agit, il a plu depuis la première lune jusqu’à la sixième. Ces pluies excessives ont fait déborder le lac Tai. Le débordement de ce lac a inondé San, Yeou, et d’autres villes. Les campagnes ont été tellement et si longtemps couvertes d’eau, qu’on n’a pas même pu semer le riz. On a vu les maisons dans les villages ou abîmées sous les eaux, ou détruites et flottantes. Les laboureurs ont vendu leurs bœufs, et se sont dispersés pour mendier. Je dis que ces calamités sont notoires.

J’ajoute que V. M. en étant instruite, doit avoir, pour y remédier, le même empressement qu’on a pour éteindre un incendie, ou pour secourir des gens qui se noient. Jugez si ce que suggèrent mes collègues convient en ces circonstances. Les recherches qu’ils conseillent, sont très difficiles dans la pratique, sujettes à bien des erreurs, et propres à faire périr des gens dans le fond très innocents. De plus, comme on sera instruit qu’on doit faire ces recherches, et qu’on a nommé pour cela des commissaires ; les officiers des provinces prendront l’alarme : chacun craignant de fâcheux retours, et pensant à sa propre sûreté, prendra le moins de part qu’il pourra aux calamités publiques, et laissera périr les peuples...


Après quelques exemples tirés de l’histoire, Fan tsou yu continue, et dit :

Vos libéralités, prince, sont parties ; trois sortes d’officiers en sont chargés. C’est bien assez, si V. M. suivant le projet qu’on lui fait, multipliait ses précautions, elle semblerait regretter ce qu’elle a donné : elle paraîtrait faire trop peu de cas de la vie des hommes ; et désormais, dans les calamités publiques, on n’oserait plus recourir à elle. La crainte de vos ancêtres en semblables occasions, était qu’on ne soulageât pas assez promptement et assez libéralement les peuples ; et quand ils envoyaient des commissaires ou des inspecteurs, c’était pour enhardir les officiers ordinaires, non pour les intimider et les gêner. En effet, ces officiers sont naturellement portés à se dessaisir avec peine des grains et des deniers dont ils sont comptables. Pour cette raison et pour d’autres, ils diminuent d’ordinaire dans leurs rapports les calamités publiques, au lieu de les augmenter. Mais quand il y aurait eu en effet quelques avis peu fidèles, ils ne peuvent être qu’en petit nombre, et tôt ou tard on les saura ; le peuple parle, les officiers s’observent mutuellement, les censeurs en seront instruits, et par eux la cour. Ainsi V. M. serait toujours à temps de punir, si elle voulait, ceux qui seraient coupables. Pour le présent, mon avis est que, sans vous mettre beaucoup en peine des petits excès que vos officiers peuvent commettre, votre attention ne s’occupe que du soulagement des peuples qui souffrent. C’est par ces considérations, qu’ayant examiné le projet qu’on vous suggère, je vous le rends cacheté, et vous supplie de le supprimer.