Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/783

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par sa vertu. Remontons au temps de Yao. Supposons y Chun sans sagesse et sans vertu. Ce ming, dont parlent nos sectaires, aurait-il également fait monter Chun sur le trône ? Yao, en nommant Chun son successeur, exclut son propre fils Tan tchu. Pourquoi Tan tchu fut-il exclus ? Ne fut-ce pas faute de vertu ? Fut-ce précisément faute de ming ? Chun déjà connu, estimé, et comme à demi placé sur le trône, cherche cependant la retraite. Nos sectaires oseront-ils dire qu’il était moins éclairé qu’eux sur ce qu’ils appellent ming, destinée ? Il n’y a pas d’apparence. D’un autre côté, s’il avoue que Chun, suivant leurs principes, voyait que sa destinée était de régner ; il s’ensuivra que sa retraite ne fut que feinte et qu’hypocrisie. Qui l’oserait dire, ou penser ?

Supputer les révolutions des astres, est un art qui a commencé avec notre Y king[1], dont nous reconnaissons pour auteur Fo hi. On ne peut nier que parmi nos anciens princes, Ven vang ne soit un de ceux qui ont le mieux entendu ce livre. Je demande à nos astrologues : Ven vang savait-il, ou non, ce qu’ils prétendent trouver dans leur art, et ce qu’ils appellent destinée[2] ? S’ils disent que non : quelle insolence de se préférer à ce sage prince ! S’ils disent que oui : pourquoi donc Ven vang, dans la prison où le tenait le tyran Tcheou, et où il faisait sur l’Y king des commentaires, gémissait-il et s’affligeait-il[3] ?

Depuis Ven vang, qui a plus approfondi l’Y king que Confucius ? Nos sectaires prétendront-ils l’avoir mieux entendu que lui ? Cependant, si Confucius savait ce qu’ils prétendent savoir, et ce qu’ils appellent ming, destinée ; pourquoi parcourut-il en vain jusqu’à une vieillesse fort avancée, les soixante douze[4] royaumes. Il faut donc ou rejeter absolument ce que ces sectaires débitent, et l’abus qu’ils font de l’expression ming, ou bien il faut reconnaître que Ven vang et Confucius ne leur sont pas comparables ; ce qui serait une grande[5] absurdité.

En voici une seconde dans le système de ces sectaires, si on le suppose vrai, qu’un homme meure, c’est son destin, ming. C’est donc au destin qu’il faut attribuer sa mort, et non pas aux hommes ; ainsi on dira : ce ne furent point Kié et Tcheou qui firent mourir cruellement et injustement Long pong et Pi kan. Ce fut le destin de ces deux grands hommes. Bien plus on conclura que quand Kié et Tcheou, ces odieux tyrans, auraient pratiqué toutes les vertus, ils n’auraient pas laissé de périr misérablement, et qu’on avait tort par conséquent de les exhorter à devenir vertueux, pour se conserver l’empire et la vie. Heureusement il s’en faut bien que tout le monde croie nos sectaires. Ceux même qui les consultent ou qui les écoutent, n’ont pas grande foi à ce qu’ils disent. Mais si par malheur cette erreur

  1. Nom d'un ancien livre.
  2. Ming
  3. Son fils allait devenir empereur.
  4. C’est-à-dire, tout l’empire.
  5. Surtout maintenant que c’est assez d’être aveugle, et de ne pouvoir gagner autrement sa vie, pour faire métier de prédire aux hommes leur destinée.