Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/789

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d’étude et d’application. Cependant ils ne parlent que d’épurer leur raison, que de la suivre seule, que de tenir avec attention le vrai milieu. Tant il est vrai que ceux-mêmes qu’on assure être nés sages, ont encore besoin d’étude et d’application.

Si dans l’éloignement où je suis, je n’ai pas le bonheur de voir combien les belles qualités avec lesquelles vous êtes né, vous approchent de ces grands princes, j’en ai du moins entendu parler très avantageusement. Mais j’ai aussi appris par la voix publique, qu’au commencement de votre règne, au lieu de vous appliquer aux affaires, toute votre occupation était d’entendre ou de réciter quelques vers, ou quelques discours flatteurs et bien composés. Depuis quelques années, à la vérité, vous avez renoncé à ces amusements frivoles ; vous avez paru chercher quelque chose de plus solide, et vouloir acquérir la vraie sagesse ; mais vous l’avez cherchée, dit-on, dans les livres des sectaires. Voilà ce qu’on dit en province ; je ne sais point au vrai ce qui en est.

Mais souffrez que je vous dise, que si les choses étaient ainsi, ce serait mal vous y prendre, pour répondre dignement aux desseins de Tien et pour imiter Yao et Chun. Non, ce n’est point dans des chansonnettes, ou dans des discours vainement fleuris, qu’on puise l’art de bien gouverner. Le vide[1] et le néant, la quiétude et le repos, ne vous l’apprendront pas mieux. Nos anciens et sages princes qui ont réussi en ce grand art, s’appliquaient à bien pénétrer le fond des choses, pour en devenir plus éclairés, et pour se mettre en état de prendre toujours le bon parti. Un prince qui sait leur méthode, repasse fréquemment l’ancienne histoire : il en examine avec attention tous ses traits. Pour en juger sainement, il a toujours présent à l’esprit et les principes de la raison et de l’équité. Rien ne lui échappe en ce genre. Par là ses vues s’étendent, se rectifient, et se perfectionnent : son cœur s’établit dans l’équilibre et dans la droiture ; et il se trouve enfin capable de gouverner avec une extrême[2] facilité.

Au contraire, si un prince est sans application, ou si en s’appliquant il suit une autre méthode, eut-il d’ailleurs l’esprit excellent, et les plus heureuses dispositions à la vertu, jamais ses lumières ne lui découvriront assez nettement le fond des choses : il ne distinguera jamais le bien de ce qui n’en a que l’apparence ; ce qui est essentiel, de ce qui ne l’est pas et il sera sujet à faire mille fautes. Quand par hasard il n’en ferait point qui eussent des suites bien funestes, du moins ne sera-t-il jamais un grand empereur. Est-ce donc une bagatelle que de renoncer à cette haute réputation, en se contentant d’une indigne médiocrité ? Non, sans doute : et l’on peut appliquer ici ce que dit l’Y king, qu’une erreur légère en apparence, mène à d’étranges égarements.

  1. Il indique les sectes Tao et Foë.
  2. Mot à mot, comme on compte un et deux, et comme on distingue le blanc du noir.