Page:Du halde description de la chine volume 2.djvu/790

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Quant au second point que j’ai touché, il est certain qu’entre nous et le Kin[1], il n’y a point de paix solide à espérer. La raison le dit, cela saute aux yeux, chacun le sait, et s’il se trouve encore des gens qui sont d’avis qu’on traite de paix, voici sans doute comme ils résonnent. Nos affaires ne sont pas en assez bon état, pour entreprendre de recouvrer par la force, ce que les Kin ont usurpé sur nous. Il y a même du risque à continuer la guerre, en nous tenant sur la défensive. Il vaut donc mieux profiter de la démarche qu’ont fait les Kin, qui sont venus faire quelques présents, y répondre de notre part, leur députer un envoyé, et leur demander honnêtement qu’ils nous restituent nos terres, suivant leurs anciennes limites. Cette démonstration de faiblesse de notre part, en flattant leur orgueil, pourra peut-être leur inspirer de la sécurité, et conséquemment de la négligence. Ils en seront moins ardents à nous attaquer, et moins vigilants à se prémunir. Cependant nous profiterons du temps, et nous nous disposerons plus à l’aise à quelques grandes entreprises.

D’ailleurs, que sait-on ? Il peut absolument arriver que Tien, par un heureux retour en notre faveur, fasse revivre en ces barbares quelques sentiments d’équité, et qu’ils nous restituent nos terres, sans qu’il en coûte la vie à un seul homme. Pourquoi ne pas tenter ce moyen ? Quel mal y a-t-il à le faire ? Voilà sans doute comme raisonnent ceux qui sont d’avis qu’on entre en traité.

Pour moi je ne vois dans ce parti ni justice ni raison : je n’y aperçois pas un seul avantage, et j’y vois de très grands inconvénients. Nos affaires, dit-on, ne sont pas encore en bon état. Cela est vrai. Mais pourquoi ? C’est, j’ose le dire, de ce qu’on parle toujours de traités de paix : et jusqu’à ce qu’on ait pris une bonne fois le parti de n’en plus parler, jamais nos affaires n’iront mieux. Un parti bien pris de périr ou de vaincre, est ce qui fait réussir à la guerre. Se voit-on une ressource, et comme un troisième chemin entre la défaite et la victoire ? On s’y laisse pousser sans peine. La raison a beau se raidir, on attaque plus faiblement, et l’on se défend avec moins d’opiniâtreté. La nature en ces occasions affaiblit la raison et la vertu. Oui encore une fois, tandis que dureront ces malheureux pourparlers de paix, V. M. elle-même sera incertaine et flottante en ses résolutions ; vos ministres aussi peu déterminés, feront leur emploi par manière d’acquit ; vos généraux et leurs subalternes auront moins d’empressement à se signaler. Il en sera de même à proportion, des magistrats de tout l’empire. Le moyen, alors que nos affaires se rétablissent, que l’empire se fortifie, que nous puissions recouvrer nos terres, et mettre en sûreté nos frontières ? C’est s’abuser évidemment que de l’espérer.

Ce n’est pas moins se tromper, que de prétendre amuser les Kin par une vaine cérémonie. Ils n’ont à notre égard ni charité, ni justice ; mais en récompense ils sont pleins d’artifices et de malignité. Si réellement ils

  1. Nom d'une nation tartare.