avaient dessein de nous attaquer, et s’ils se sentaient en état de nous subjuguer, ils ne se laisseraient point aveugler par une vaine cérémonie, jusqu’à renoncer à leur projet, bien moins jusqu’à se dessaisir de ce qu’ils possèdent. Mais pour nous, en faisant la démarche que l’on propose, ce ne serait point les amuser comme on le prétend ; ce serait montrer de la faiblesse ; ce serait réellement les instruire de notre état, nous découvrir à eux, les convaincre que nous n’avons ni habileté, ni courage, et les rendre plus hardis à tout entreprendre contre nous.
Si par hasard, après cette démarche, les Kin étaient quelque temps sans remuer, nous nous en applaudirions. Nous croupissions dans notre indolence : et comme il s’est déjà passé dix ans et davantage, sans que nous ayons rien fait pour nous relever, il s’en passerait encore autant, s’il plaisait aux Kin de le permettre. En user ainsi, c’est, ce me semble, en voulant tromper l’ennemi, se tromper soi-même. C’est le presser de nous attaquer ; et je ne puis assez m’étonner, qu’il se trouve encore à votre cour, des gens capables de vous donner de tels conseils.
Par ce procédé, nous nous mettons comme à la discrétion des Kin. Quand ils se sentiront faibles, et qu’ils auront raison de nous craindre, ils n’auront qu’à parler de paix : au lieu de profiter de leur faiblesse pour rentrer dans nos droits, nous irons comme au devant d’eux ; et sous prétexte d’alliance, ils recevront encore de nous chaque année de grosses sommes. Se sentiront-ils plus forts ? Il n’y aura traité qui tienne : ils entreront sur nos terres le plus avant qu’ils pourront. Ceux qui vous donnent ces conseils, ne pensent qu’à éviter une rupture ouverte avec les Kin. Ils ne font pas attention que c’est refroidir le zèle, et abattre le courage de vos sujets ; que c’est fortifier vos ennemis, et nuire à l’État par bien des endroits.
Il y a trente ou quarante ans que ces barbares profitent, pour nous ruiner, du fol empressement que nous avons toujours eu de parler de paix. Pouvons-nous encore ne le pas voir ? N’est-ce pas un aveuglement extrême de proposer toujours un parti, qui, depuis si longtemps nous est si funeste ? Demander honnêtement aux Kin qu’ils nous rendent ce qu’ils nous ont pris, c’est une chose égarement ridicule et inutile. Ces terres qu’ils ont envahies nous appartiennent. Pourquoi remettre à la discrétion de ces barbares de nous les restituer ou non. Mesurons nos forces, voyons si nous pouvons les reprendre. En ce cas là reprenons-les, ils n’en seront plus les maîtres. Que si nous croyons ne le pouvoir pas encore, à quoi bon les demander à l’ennemi, sans apparence de les obtenir, et lui faire l’aveu de notre impuissance, et de sa supériorité ?
Supposons cependant que les Kin écouteront la proposition que nous leur ferons de nous restituer nos terres. Ce ne sera certainement qu’en nous faisant acheter bien cher une pareille grâce. Encore devons-nous juger par le passé[1], qu’autant qu’il dépendrait d’eux, elle serait bien peu durable.
- ↑ La neuvième des années nommées Chao hing, les Kin rendirent aux Chinois trois provinces qu’ils avaient subjuguées. Un an après ils les reprirent.