Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/114

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monde, plusieurs même d’entr’eux se firent ses disciples. Mais ce qui lui donna le plus de réputation, ce fut la force avec laquelle, dans des disputes publiques, il convainquit les idolâtres de leur ignorance sur la nature de Dieu, et sur la vraie religion.

Cette grande idée qu’on avait conçue de l’homme apostolique, aplanit les difficultés, qui semblaient devoir traverser l’établissement qu’il méditait de faire à Nan king : on lui en accorda la permission avec toute sorte d’agrément. On lui offrit même une maison si magnifique, que sa modestie ne lui permit pas de l’accepter : il se contenta d’une autre maison vaste et commode, que des magistrats avaient désertée, parce qu’elle était infestée de malins esprits : il l’eût par cette raison à grand marché, et il s’en mit en possession par autorité publique. La tranquillité rétablie dans cette maison, aussitôt que le Père y fut logé, fit sentir aux Chinois quel est le pouvoir des adorateurs du vrai Dieu sur les puissances de l’enfer.

Ce changement qui s’était fait si subitement à Nan king, fit juger au P. Ricci, que dans la capitale où il avait des amis, et où l’on ne craignait plus les armes japonaises, il trouverait les esprits plus favorablement disposés à son égard. Le secours de nouveaux ouvriers, et des présents propres à être offerts à l’empereur, qui pour lors lui furent envoyés de Macao, le déterminèrent à entreprendre ce voyage. Un des principaux magistrats ayant vu ces présents, donna une patente très honorable, par laquelle il lui permettait de porter à l’empereur des curiosités d’Europe. Tout semblait favoriser son dessein ; mais une rude épreuve l’attendait à Lin tcin tcheou. La douane y était administrée par un eunuque envoyé de la cour, qui se faisait redouter des plus grands mandarins, et qui tyrannisait toute cette contrée : à peine eut-il vu les présents destinés pour l’empereur, qu’il prit le dessein de s’en faire honneur ; il en écrivit à la cour, et manda entr’autres choses, qu’il y avait une cloche qui sonnait d’elle-même (c’est ainsi qu’il appelait une horloge.) De plus il n’y eût point de caresses qu’il n’employât, pour engager le père Ricci à se servir de son ministère, afin de faire passer ces curiosités entre les mains du prince. Rien n’était plus contraire aux vues du P. Ricci : aussi s’en excusa-t-il avec politesse.

L’eunuque irrité de ce refus, publia qu’il avait aperçu dans les ballots de cet étranger un crucifix, qui était, disait-il, un charme, pour ôter la vie à l’empereur : et sur cela il le fit renfermer dans une tour, lui et ceux de sa suite : ils auraient été tous sacrifiés au ressentiment du perfide eunuque, s’il avait porté cette accusation à la cour ; mais après le témoignage favorable qu’il s’était pressé de rendre du P. Ricci, il n’osa rien mander de contraire, pour ne point tomber dans une honteuse contradiction avec lui-même. Il vint donc un ordre de l’empereur de faire partir incessamment l’étranger, pour se rendre à la cour, et de lui fournir tout ce qui était nécessaire pour son voyage.

Ce fut ainsi que le Père entra avec honneur dans la capitale : on ne fut pas longtemps à l’introduire au palais, et il fut reçu de l’empereur