Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/117

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La moisson devint encore plus abondante dans la ville impériale de Nan king, capitale de la province de Kiang nan, et dans une autre ville de la même province nommée Chang hai, qui était la patrie d’un mandarin illustre par sa naissance, par son mérite, par ses grands emplois, et surtout par la dignité de colao, c’est-à-dire, par la première dignité de l’empire, dont il fut honoré.

Ce sage ministre était né avec un fonds de raison et de lumières naturelles, qui lui avaient fait connaître qu’il avait une âme immortelle ; et que les biens fragiles, que donnent ici-bas, ou le hasard de la naissance, ou le caprice de la fortune, ne peuvent être la récompense de la vertu. Une infinité de doutes et de pensées naissaient dans son esprit, dont il ne pouvait trouver l’éclaircissement, ni dans la secte des lettrés, ni parmi les idolâtres : il cherchait de bonne foi la vérité, et il la trouva dans les fréquents entretiens qu’il eût avec le père Ricci.

Ce grand homme nommé Siu, n’est pas plutôt été instruit des vérités chrétiennes, qu’il aspira après la grâce du baptême : il le reçut à Nan king avec une grande solennité, et il fut nommé Paul. Le nom de cet apôtre des Gentils lui convenait fort, puisqu’il devint l’apôtre de sa patrie, l’appui de la religion, et le protecteur déclaré des missionnaires ; il ne cessa jamais de les soutenir par ses biens, par ses conseils, et par son grand crédit. Il commença par convertir son père, âgé de quatre-vingt ans, et toute sa famille, qui était très nombreuse. Son exemple et ses discours contribuèrent de même à la conversion d’un grand nombre de mandarins.

Au temps des persécutions il défendit la foi par de savantes apologies ; il en prit souvent les intérêts en présence même de l’empereur ; et il ne craignit point de lui dire qu’il lui abandonnait ses biens, ses charges, sa vie, et toute sa famille, si l’on pouvait trouver dans la doctrine chrétienne, la moindre chose qui fût contraire à la tranquillité de l’État, ou à l’obéissance qui est due au souverain. Il appuyait la religion dans les provinces, et procurait à ses ministres l’amitié et la protection des gouverneurs et des premiers officiers, par les lettres qu’il leur écrivait. Enfin il devint le docteur de sa nation, par les traductions qu’il fit en sa langue, de plusieurs livres de la Loi chrétienne, composés par les missionnaires.

La vivacité de sa foi lui inspirait le plus grand respect pour les ministres de l’Évangile : ayant appris que le père Jean de Rocha, par les mains duquel il avait reçu le baptême, était mort à Hang tcheou dans la province de Tche kiang, il en prit le deuil, et le fit prendre à toute sa famille, comme il avait fait pour son propre père. Un autre missionnaire étant allé lui présenter une lettre, que le cardinal Bellarmin écrivait aux fidèles de la Chine, il ne voulut point la recevoir qu’il n’eût pris le bonnet et les habits de sa dignité, comme s’il eût dû se présenter devant l’empereur ; et qu’après s’être prosterné en terre, il n’eût fait quatre profondes inclinations de tête.

Le zèle et la piété de ce grand mandarin se perpétuèrent dans sa famille.