Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/54

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consiste la vertu et le bonheur ; quand un homme est une fois parvenu à ce bienheureux état, il n’y a plus pour lui de vicissitude et de transmigration à craindre, parce qu’à proprement parler, il n’est rien, ou s’il est quelque chose, il est heureux, et, pour tout dire en un mot, il est parfaitement semblable au Dieu Fo.

Cette doctrine ne laissa pas de trouver des partisans, même à la cour, où quelques Grands l’embrassèrent. L’empereur Kao tsong en fut si fort entêté, qu’il remit le gouvernement de l’empire à son fils adoptif, pour se livrer entièrement à ces folles et stupides méditations.

Cependant la plupart des lettrés s’élevèrent contre cette secte de faux contemplatifs, et entr’autres un colao célèbre, nommé Poei guei, zélé disciple de Confucius : ils la combattirent de toutes leurs forces, en faisant voir que cette apathie, ou plutôt cette monstrueuse stupidité qu’on s’efforce d’acquérir, en ne faisant rien, en ne pensant à rien, est le renversement de la morale, et de la société civile ; que l’homme n’est élevé au-dessus des autres êtres, que parce qu’il pense, qu’il raisonne, qu’il s’applique à connaître la vertu, et à la pratiquer ; que d’aspirer à cette folle inaction, c’est renoncer aux devoirs les plus essentiels, c’est anéantir les rapports nécessaires, qui sont entre le père et les enfants, le mari et la femme, le prince et les sujets ; qu’enfin si cette doctrine était suivie, elle réduirait tous les membres de l’État à une condition beaucoup inférieure à celle des bêtes.

C’est ainsi que la Chine se vit en proie à toutes sortes d’opinions ridicules et extravagantes. Quoique les lettrés combattent ces diverses sectes, qu’ils les traitent même d’hérésies, qu’ils aient fait naître plusieurs fois à la cour la pensée de les abolir dans toute l’étendue de l’empire, on les a toujours tolérées jusqu’ici, soit par la crainte d’exciter des troubles parmi le peuple, qui est fort entêté de ses idoles, soit qu’elles aient des protecteurs secrets parmi les savants, dont plusieurs, qui ont été tirés de la lie du peuple, ont de la peine à se déprendre des superstitions, dans lesquelles ils sont nés, et qu’ils ont sucées avec le lait. On se contente de les condamner en général comme des hérésies ; et c’est ce qui se pratique tous les ans à Péking.

C’est cet amas monstrueux de superstitions, de magie, d’idolâtrie, et d’athéisme, qui ayant infecté de bonne heure l’esprit de plusieurs lettrés a enfanté parmi eux une secte, qui tient lieu de religion ou de philosophie ; car on ne sait pas bien ce qu’on en doit penser, et il est à croire qu’ils ne le savent pas eux-mêmes.