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DIALOGUE,
Où un philosophe chinois moderne, nommé Tchin, expose son sentiment sur l’origine et l’état du monde.


Dans un endroit agréable, d’où l’on voyait comme en perspective plusieurs belles maisons de campagne, on avait ménagé un cabinet de verdure, où plusieurs personnes s’assemblaient pour y prendre le frais, et s’entretenir durant les chaleurs de l’été. Le hasard y conduisit un étranger, qu’on invita de s’y reposer : comme on le jugea propre à contribuer aux agréments de la conversation, on le pria de vouloir bien s’arrêter dans ce lieu-là pendant quelques jours, et de ne pas se refuser à l’empressement qu’on avait de l’entendre : il se rendit sans peine, et attira bientôt une foule d’auditeurs, qui prenaient un extrême plaisir à la manière libre et enjouée, dont il traitait divers points d’histoire et de morale.

Le bruit de ces assemblées se répandit aux environs. Un savant d’une ville voisine eût envie d’y assister. Il se rend au lieu de l’assemblée, qui était nombreuse. Comme il était prêt d’entrer dans le cabinet, un de la troupe qui l’aperçut, se leva, et s’approchant de l’étranger qui était assis dans la place d’honneur, Monsieur, lui dit-il à l’oreille, cet homme respectable qui arrive, est très célèbre par sa profonde érudition : on le nomme Tchin vou kouei. C’est un homme vif, entêté de ses opinions, et qui dans la dispute ne céderait pas aux plus savants de l’empire : il a employé toute sa vie à l’étude, et il n’y a point de livres qu’il n’ait lus. S’il se met une fois à parler de la doctrine du ciel et de la terre, sa bouche est comme un fleuve intarissable, qui roule ses eaux avec rapidité. Je ne sais ce qui peut avoir amené ici un si grand personnage.

Au même moment le philosophe entra, et parcourant d’un coup d’œil l’assemblée, il la salua d’un air gracieux, en remuant civilement les deux mains. J’ai appris, Messieurs, leur dit-il, qu’on tenait ici des assemblées, où un savant homme, qui agréera bien que je le traite d’ami, entretenait la compagnie, et j’ai cru qu’il voudrait bien me permettre de profiter de ses lumières.

À ce début, tous ceux de l’assemblée se regardèrent les uns les autres avec surprise : car l’étranger avait peu de capacité, et tout son mérite consistait à débiter aisément quelques traits d’histoire ; les autres étaient gens sans lettres, attachés à la secte de Fo, ou de Lao, et fort entêtés de leurs idoles.