Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/74

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ont été très rares ; car nous voyons communément que les espèces se perpétuent par les voies sensibles et ordinaires. Un exemple fera mieux comprendre ma pensée. Le bois produit dans son sein des vers, l’homme engendre sur son corps de la vermine. Voilà des productions de l’ordre de celles que nous avons appelé merveilleuses, et dont l’artifice nous échappe. Si sur le corps de l’homme il ne se trouvait pas des parties spiritueuses de sueur, s’il n’y en avait pas dans le bois qui se pourrit ; quelle serait l’origine de ces insectes[1] ? Disons de même à proportion, que ce qui se trouve de plus subtil

  1. On voit par ce raisonnement du philosophe chinois, qu’il ne croit pas que les insectes soient produits par des œufs, mais simplement par la corruption. Il abuserait bien davantage de ce principe, si à la faveur des microscopes, il voyait la construction admirable de ces petits insectes dans la multiplicité, la subtilité, et le rapport de leurs organes.
    Le philosophe chinois, comme tous ceux qui cherchent à éteindre la connaissance d’un premier être, est si faible dans son système, que pour le former, il suppose d’abord les principes les plus absurdes et les plus chimériques, et veut donner ses fictions pour des premières vérités. On voit bien qu’il avait affaire à de pitoyables adversaires. Ce tai ki comme il l’appelle, cette masse informe, ce suprême indéfini qui a précédé tous les êtres définis, subsiste-t-il par lui-même ? Est-il l’auteur de son être ? Cette portion la plus subtile du tai ki s’est-elle donnée à elle-même le mouvement qu’elle imprime aux autres êtres, ou l’a-t-elle reçu d’un autre être, qui a été le premier moteur ? Ce bel ordre de l’univers, cet arrangement de toutes ses parties toujours le même, ces êtres animés, pensants, raisonnables, et libres dans leurs actions, peuvent-ils être l’effet d’une cause aveugle, qui agit au hasard, qui ne prépare rien, qui n’arrange rien, qui ne choisit rien, qui est sans volonté et sans intelligence ? Voilà pourtant ce que ses principes établissent, et qui ne peuvent être avoués que par un homme qui renonce au bon sens et à la raison. Car enfin à la vue d’un palais, où la symétrie et les proportions sont exactement observées, osera-t-on dire que les pierres se sont assemblées dans ce bel ordre, et qu’elles se sont arrangées d’elles-mêmes d’une manière propre à en distribuer les divers appartements ; que les murs se sont élevés, et que la charpente s’est posée elle-même pour soutenir le toit, qui est venu ensuite se placer sur la charpente ; en un mot, que ce palais où éclate la plus parfaite architecture, a été dressé par un de ces coups capricieux du hasard ? En lisant une histoire ou un poème rempli des plus grands évènements, dira-t-on que c’est le concours fortuit des caractères qui se sont placés au hasard dans l’arrangement nécessaire pour décrire cette suite d’évènements, et les lier tous ensemble ? Un enfant qui bégaye, rirait d’un pareil raisonnement. Ces ouvrages de l’art démontrent invinciblement qu’ils ont été produits par des mains savantes et industrieuses. Mais que penser de la structure de cet univers qui renferme les plus éclatantes merveilles ? Cette Terre suspendue et immobile qui nous porte, ces richesses qui sortent chaque année de son sein, pour satisfaire aux divers besoins des peuples ; cette voûte immense des cieux qui roule sans cesse autour de la terre, et qui nous couvre ; ces abîmes d’air et d’eau qui nous environnent ; cet immense réservoir d’eau qui entoure la terre, et auquel on a donné le nom de mer, si resserré dans ses limites, qu’il ne les franchit jamais, et qui dans la plus grande fureur brise les flots écumants contre le rivage ; ce soleil, ces astres qui nous éclairent ; la constance et la régularité de leurs mouvements, sans que depuis tant de siècles on y ait pu voir le moindre dérangement. Ces animaux de tant d’espèces différentes, cet instinct naturel, par lequel ils cherchent ce qui leur est utile, et fuient ce qui leur est nuisible ; la manière dont ils se renouvellent chaque jour par le secours des aliments, et dont leurs espèces se perpétuent par la voie de la génération ; le corps humain, ce chef d’œuvre formé d’une vile matière ; ses différentes parties et leurs usages ; cette âme qui l’anime, qui lui est intimement unie, et qui en fait jouer tous les ressorts, qui pense, qui raisonne, qui réfléchit, qui délibère, qui se forme des images distinctes de ce qui n’est plus, comme s’il était encore, qui conserve le souvenir de ce qui est passé