Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/86

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afin de pouvoir fournir aux frais des parfums qu’ils brûlent devant ces idoles : ils seront insensibles aux besoins d’un père et d’une mère, qui souffrent du froid et de la faim, faute d’habits et de nourriture. Leur unique soin étant d’amasser de quoi faire un riche cadre à l’autel de Fo, et des autres divinités étrangères ; ils abandonnent leurs parents, et laissent leurs ancêtres, sans leur accorder un tse tang[1]. Peut-on ne pas avoir horreur d’une doctrine, qui va jusqu’à éteindre la mémoire des parents défunts, et à priver de tout secours ceux qui sont en vie ?

7° Combien en voit-on parmi le peuple, qui croient comme autant de vérités tout ce qu’on leur dit des pagodes construits dans des lieux écartés et solitaires ? Ils ne doutent point que ce ne soit l’asile de la vertu et de l’innocence. Plusieurs même se sentent portés à passer leur vie dans ces sortes de retraites, et à imiter Fo dans sa solitude : on les voit tout à coup renoncer à leurs femmes, à leurs enfants, à leurs possessions : quelle simplicité ! Ne savent-ils pas que leur corps est composé de chair et d’os, de sang, et d’esprits animaux ? Espèrent-ils de le rendre aussi insensible qu’une masse de bois ou de pierre ? Croient-ils ne plus ressentir les passions si naturelles à l’homme ? Toutes ces pompeuses exhortations du Fo et du Lao sur le vide, sur la perfection où conduit un dépouillement sans réserve, ont été autant de pièges, où se sont laissés surprendre une infinité de gens, qui croyaient sérieusement pouvoir mettre ces leçons en pratique ; mais ils ont bientôt éprouvé qu’elles étaient impraticables. L’empire du tempérament s’est fait sentir ; les passions gênées et contraintes en sont devenues plus intraitables, et les ont porté à des excès monstrueux. Enlever la jeunesse de l’un et de l’autre sexe, pour assouvir sa brutalité ; solliciter et séduire d’honnêtes dames ; se ravaler jusqu’à la condition des bêtes, et s’applaudir de cet avilissement ; enfin renoncer à toute raison et à toute pudeur ; voilà les suites de la séduction dont ceux qui suivent cette belle doctrine, ne peuvent guère se défendre.

8° Combien en a-t-on vu d’autres, qui s’étant laissés infatuer par ces beaux discours débités avec emphase sur le vide, négligeaient tous les devoirs de la vie civile, et ne s’occupaient qu’à demander le bonheur qu’on leur faisait espérer dans une autre vie.

La séduction ne s’est pas bornée au simple peuple ; elle a passé jusque dans les palais des princes. Si l’on a vu des rebelles s’attrouper, former une armée, et assiéger la ville capitale ; si les Barbares sont entrés dans l’empire, et l’ont rendu tributaire ; ces malheurs ne sont-ils pas venus de ce que les princes se remplissant la tête des maximes et des visions de Lao et de Fo, se sont rendus incapables de gouverner leurs peuples ? Leang ou ti ne se vit-il pas réduit à mourir de faim à Tai tching ? Hoei tsong ne fut-il pas emmené esclave au-delà des déserts sablonneux de la Tartarie ? Hiuen tsong ne s’enfuit-il pas honteusement dans les montagnes de la province de Se tchuen ? Et que n’eût-il pas à y souffrir ? C’est ainsi que ces fausses sectes

  1. Salle commune, où on honore les défunts de la même famille.