Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/89

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la couronne, c’est le Fo lui-même ; celle qu’il épousa, s’appelait Na to ; ils eurent un fils qui fut nommé Mo heou lo. Peu après Fo passa douze ans dans la solitude, et ce fut durant ses contemplations qu’il se transforma en Fo.

Suivant ces traditions, il paraît que la dynastie des Tcheou avait déjà sept cents ans de règne, lorsque la secte de Fo commença. Raisonnons des temps passés par le temps présent, et du présent par le passé : le monde est allé, et ira toujours son même train. Peut-on s’imaginer que ce que nous ne trouvons maintenant nulle part, et dont il ne reste aucun vestige, ait été autrefois la merveille de l’univers ? Qu’on parcoure les contrées qui sont à l’ouest de la Chine, on n’y trouvera qu’un pays de Barbares : comment placer là ces beaux noms de très pur, de royaume de la vertu, de la félicité très parfaite ? Trouve-t-on là maintenant des hommes à trois têtes, à six épaules, à huit mains ? Y trouve-t-on des gens qui vivent des deux et trois cents ans, et qui dans le plus grand âge, n’éprouvent point les incommodités de la vieillesse ? Comment donc se figurer que c’est le séjour des immortels ? Concluons donc que tout ce qu’on débite du roi du ciel, du généralissime des esprits, sont autant de fables dont on se sert, pour abuser de la crédulité des peuples.

Mais, dit l’un des assistants au nom de tous les autres, comment osez-vous traiter avec tant de mépris notre Yo hoang ? C’est le même que le Chang ti, dont il est parlé dans vos livres, pour lesquels vous avez une si profonde vénération ? C’est lui que l’empereur Kao tsong[1] vit en songe, et qui lui donna Fou yué pour son premier ministre. C’est de lui dont

  1. Cette objection embarrasse le philosophe chinois : il aurait pu se tirer d’affaire, en répondant que leur Yo hoang n’était pas le Chang ti des lettrés, mais celui que la secte de Tao avait honoré de ce nom sous la dynastie des Han, et qui avait nom Tchang y ; mais au lieu de cette réponse qui eût été solide, il s’arrête à vétiller sur les habits qu’aurait dû avoir le Chang ti ; il tâche de faire passer ce trait d’histoire pour une fable, ou pour un simple songe, de même qu’on voit en songe l’oiseau fabuleux, appelle fong hoang ; cependant arrêté par l’autorité des livres classiques, il a recours à des interprètes modernes, et il veut que le Chang ti ne soit autre chose que son tai ki. Si les Chinois avaient du li la même idée qu’en a donné le R. P. Mallebranche, qui ne paraît guère instruit de leur doctrine, il aurait été aisé à notre philosophe de répondre, que l’empereur Kao tsong voyait son futur ministre dans le li ; car ce R. Père assure que selon le système de la philosophie chinoise, toutes les vérités sont vues dans le li, et c’est selon ce système qu’il a imaginé dans l’ouvrage intitulé, Entretien d’un philosophe chrétien avec un philosophe chinois, qu’il fait parler de la sorte un philosophe chinois : Nous ne recevons que la matière, et le Li, cette souveraine vérité, sagesse, justice, qui subsiste éternellement dans la matière, qui la forme et l’arrange dans ce bel ordre que nous voyons, et qui éclaire aussi cette portion de matière épurée et organisée dont nous sommes composés ; car c’est nécessairement dans cette souveraine vérité (le li) à laquelle tous les hommes sont unis les uns plus, les autres moins, qu’ils voient les vérités et les lois éternelles, qui sont le lien de toutes les sociétés, etc. Après ce début, on n’est pas surpris d’entendre le philosophe chrétien qui lui répond : Votre li, votre souveraine justice approche infiniment plus de l’idée de notre Dieu, que celle de ce puissant empereur Chang ti. Malheureusement ce langage est nouveau et inouï à la Chine, et il n’y a point de lettré qui ne fut étrangement surpris d’apprendre qu’on lui fît tenir un pareil discours.