Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/90

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parle Meng tse, lorsqu’il dit qu’il faut se recueillir, jeûner, se purifier, avant que de lui offrir des sacrifices[1]. Oseriez-vous nier qu’il y ait un Chang ti ?

Dès le temps des empereurs Yao et Chun, répondit le philosophe[2], les peuples donnèrent dans de fausses idées touchant les esprits. De là est venue la bizarre imagination, qui fait donner une figure au Chang ti. Je conviens que l’empereur Kao tsong était un prince vertueux, qu’il vit en songe un homme, dont la taille et les traits étaient bien marqués, et que c’était la figure de Fou yué, quoique ce prince ignorât son nom ; qu’il le fit peindre avec les traits dont il avait conservé le souvenir, qu’il donna ses ordres pour déterrer l’homme qu’il avait ainsi représenté, et qu’en effet on le lui amena. Tout cela est vrai : mais combien s’en trouve-t-il qui n’ayant jamais vu ni de dragon volant, ni l’oiseau appelé fong hoang, oiseau fabuleux, les voient très souvent néanmoins en songe ? Ils ont vu ces figures dans des tableaux, et pendant le sommeil elles se retracent dans leur imagination.

Que si vous soutenez que le Chang ti apparut à Kao tsong sous une forme humaine avec la couronne d’empereur sur la tête, et les vêtements conformes à la dignité impériale, il m’est aisé de vous répondre. C’est l’empereur Hoang ti, qui le premier a donné aux empereurs ces ornements dont ils se parent, et qui les distinguent de leurs sujets. D’où il s’ensuivrait que le Chang ti n’existait point avant cet empereur, ou que s’il existait, il a demeuré nu jusqu’au temps du règne où l’on a commencé à porter une couronne, et à se vêtir d’habits impériaux.

Disons plutôt que ce qu’on appelle Chang ti, c’est ce qui domine dans le

  1. L’objection, si elle eût été poussée, était forte, elle ne laisse pas de le jeter dans un grand embarras. Si le Chang ti des lettrés, lui dit-on, était sans vie et sans intelligence, aurait-il pu donner un fidèle ministre à l’empereur Kao tsong pour récompenser sa vertu ? Serait-il nécessaire de se purifier intérieurement, pour offrir décemment des sacrifices solennels au Chang ti ? Notre philosophe élude la difficulté, il a recours à son tai ki ; mais il n’a garde de dire de ce tai ki ce que Confucius disait du Chang ti : Il connaît le fonds de mon cœur, tchi ngo, et comme très juste tchi kung, qu’il me punisse, si mes intentions sont criminelles. Notre athée pense bien autrement de son tai ki, il l’enveloppe de beaux noms pris dans un sens métaphorique : c’est, dit-il, ce qui domine, ce qui règne dans le ciel, dans la terre, et dans tous les êtres. En lui sacrifiant, il suffit de se tourner respectueusement vers le ciel. Il n’ose désapprouver le rit des sacrifices solennels, qui sont en usage dans la secte littéraire, et par un mélange bizarre, il accommode ensemble et son athéisme et des actes de religion. Tout cela prouve que ce qui intrigue le plus ces athées, c’est la doctrine des livres classiques, qu’ils n’osent rejeter ouvertement, et qu’ils voudraient bien pouvoir ajuster à leur système.
  2. Ici le philosophe ne sachant comment concilier avec son système, l’idée que le texte classique présente naturellement du Chang ti dans son apparition à Kao tsong, tombe dans une contradiction manifeste. Il dit que l’erreur et la superstition touchant les esprits s’est introduit dès le temps d’Yao et de Chun, et par là il avoue que sa doctrine n’est pas la même que celle du siècle où régnaient ces princes, qu’on regarde néanmoins dans l’empire comme le siècle d’or, par rapport aux mœurs et à la religion. Il avoue néanmoins que Yao et Chun étaient des sages du premier ordre, écoutés comme des oracles destinés à réformer l’empire confié à leurs soins ; et cependant ces sages ont autorisé et même introduit des erreurs grossières et pernicieuses. Comment s’accordera-t-il avec lui-même ?