pas davantage de soldats, et qu'on n'en mettrait point d'autres en bataille. Avec tout cela nous eûmes bien de la peine à déterminer nos ambassadeurs à passer la rivière, à cause des défiances que leur inspirait particulièrement le général des troupes de l'empereur dans la Tartarie orientale, qui avait été souvent trompé, lorsqu'il avait eu affaire aux Moscovites ; mais nous leur apportâmes tant de raisons, qu'enfin ils se laissèrent persuadés, et se déterminèrent à passer la rivière, et à entrer en conférence. Ils vinrent suivis des officiers de leur suite, tous revêtus de leurs habits de cérémonie, qui étaient des vestes de brocard d'or et de soie, où l'on voyait les dragons de l'empire ; ils avaient préparé leurs étendards et leurs lances ornées ; mais quand ils furent avertis de la pompe avec laquelle venaient les plénipotentiaires de Moscovie, ils prirent le parti de marcher simplement, et sans autre marque de leur dignité, qu'un grand parasol de soie qu'on portait devant chacun d'eux. Les deux cent soixante soldats moscovites qui devaient être proche du lieu de la conférence, selon qu'on en était convenu, vinrent en bataille avec des tambours, des fifres, et des musettes, ayant leurs officiers à leur tête ; le plénipotentiaire vint ensuite à cheval, suivi de ses gentilshommes et d'autres officiers. Il avait cinq trompettes et une timbale, et quatre ou cinq musettes, qui se mêlant au son des fifres et des tambours, faisaient une mélodie assez agréable ; ce plénipotentiaire avait pour collègue le gouverneur de Niptchou, et de toutes les terres des grands ducs qui sont de ce côté-ci, et un autre Moscovite officier de la chancellerie, qui avait aussi le titre de chancelier de l'ambassade. Le chef de l'ambassade s'appelait Theodoro Alexievicz Golovvin, grand panetier des grands ducs, lieutenant général de Branxi, et fils du gouverneur général de la Sibérie Samoiede, et de tout le pays, qui depuis Tobolsk jusqu'à la mer Orientale, est soumis à la couronne de Moscovie ; il était superbement vêtu, ayant sur une veste de brocard d'or un manteau ou casaque aussi de brocard d'or, doublé de martre zibeline, la plus noire et la plus belle que j'aie vue, et qui vaudrait assurément plus de mille écus à Peking ; c'était un gros homme de taille un peu basse et fort replet, mais au reste de bonne mine, et qui savait tenir son rang sans affectation ; il avait fait préparer sa tente d'une manière fort propre ; elle était ornée de plusieurs tapis de Turquie, et il avait devant soi une table avec deux tapis de Perse, dont l'un était d'or et de soie ; sur cette table étaient ses papiers, son écritoire, et une horloge assez propre ; nos ambassadeurs étaient tout simplement et sans façon sous une tente de toile assis sur un grand banc, sans autre ornement que le coussin que les Tartares portent toujours avec eux, s'asseyant à terre à la façon des Orientaux. Du côté des Moscovites il n'y avait que les trois, dont j'ai parlé, qui fussent assis ; les deux premiers dans des fauteuils, et le dernier sur un banc ; tous les autres étaient debout derrière leurs chefs. De notre côté, outre les sept tagin qui avaient tous le titre d'ambassadeur et voix délibérative dans les affaires, lesquels étaient assis
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