Page:Dubos - Histoire critique de l'établissement de la monarchie françoise dans les Gaules, Tome II, 1742.djvu/398

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Turcs établis dans la Grece depuis trois siecles, y font toujours une nation differente de celle des Grecs. Les Armeniens, les Juifs, les Egyptiens, les Syriens et les autres Chrétiens sujets du Grand Seigneur, ne sont pas plus confondus avec les Turcs que le sont les Grecs. Il y a plus, toutes ces nations ne se confondent pas ensemble dans Constantinople ni dans les autres lieux de l’empire Ottoman où elles habitent pesle mesle depuis plusieurs siecles. La difference de religion ou de secte qui est entre toutes ces nations contribue beaucoup, dira-t-on, à faire subsister la distinction dont il s’agit, j’en tombe d’accord. Mais la prévention de nos barbares en faveur de leur nation, leur estime pour la loi et pour les usages de leurs peres, et d’un autre côté l’attachement des Romains à leur droit et à leurs mœurs, auront operé dans la Chrétienté, ce qu’opere la difference de religion dans les Etats du Grand Seigneur. Si la politique des sultans entretient avec soin cette difference nationale, qui empêche que tous les sujets d’une province n’entreprennent rien de concert contre le gouvernement, pourquoi nos premiers rois n’auront-ils point aussi pensé que leur autorité seroit mieux affermie si leur peuple demeuroit divisé en plusieurs nations, toujours jalouses l’une de l’autre, que si ce peuple venoit à n’être plus composé que d’une seule et même nation ?

On voit encore le peuple d’une même contrée divisé en plusieurs nations dans les colonies que les Européans ont fondées en Asie, en Afrique ou en Amérique, et principalement dans celles que les Castillans ont établies dans cette derniere partie du monde. Je dis quelque chose de semblable, car il s’en faut beaucoup que la difference qui étoit entre les diverses nations qui habitoient ensemble dans les Gaules, dans l’Italie et dans l’Espagne durant le sixiéme et le septiéme siécles, fût aussi grande et pour ainsi dire, aussi marquée, que l’est par exemple la difference qui se trouve entre les diverses nations dont le Mexique est habité, soit par rapport aux usages et aux inclinations, soit par rapport à la condition de chacune d’elles, comme au traitement qu’elles reçoivent du souverain. Les Espagnols, les Indiens et les Negres libres dont est composé le peuple du Mexique, sont originairement des nations bien plus differentes par l’exterieur et par les inclinations que ne l’étoient les habitans de la Germanie et ceux des Gaules, lorsque les premiers Germains s’établirent dans les Gaules. D’ailleurs les Espagnols se sont établis dans le Mexique, en subjuguant les armes à la