Page:Dubos - Histoire critique de l'établissement de la monarchie françoise dans les Gaules, Tome II, 1742.djvu/43

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quelquefois du pays de Tongres sous le nom de Turinge. En effet on ne sçauroit entendre des Turingiens d’au-delà du Rhin, ce que dit Gregoire de Tours des Turingiens qui furent soumis par Clovis la dixiéme année de son regne ; c’est-à-dire, en quatre cens quatre-vingt-dix. La raison veut qu’on l’entende des habitans anciens ou nouveaux de la cité de Tongres.

Premierement, il est hors d’apparence que Clovis dans un tems où il ne tenoit encore aucun poste sur la gauche du Rhin depuis Strasbourg jusqu’à Cologne, puisque ces contrées, comme on le verra, étoient alors sous la domination des Allemands et des Ripuaires, ait été conquérir le pays des Turingiens Germaniques, établis assez loin de la rive droite de ce fleuve. Les circonstances de la mort de Sigebert roi des Ripuaires feront foi, que Sigebert tenoit les contrées de la Germanie, qui sont vis-à-vis celles qu’il possedoit dans les Gaules, et qui n’en sont séparées que par le cours du Rhin. Comment Clovis auroit-il pû garder cette Turinge Germanique, quand même il l’eût conquise, puisqu’il n’auroit pû communiquer avec elle, qu’en prenant continuellement passage sur le territoire d’autrui. Secondement, les Turingiens dont parle Gregoire de Tours dans le passage que nous avons rapporté, furent soumis par Clovis, ils devinrent ses sujets dès la dixiéme année de son regne. Suo dominio subjugavit, dit cet historien. On ne sçauroit douter de la signification qu’il donne à ces paroles, puisque pour faire dire aux Francs Saliens dans les termes les plus forts qu’ils étoient sujets de Clovis, il leur fait dire[1] : Tuo sumus dominio subjugati ; nous sommes sous le joug de votre domination. Or cela ne sçauroit être entendu des Turingiens de la Germanie, puisque nous verrons qu’ils n’obéïrent jamais à Clovis, qu’ils eurent toujours leurs rois particuliers, et même que leur royaume fut très-florissant jusqu’à la conquête qu’en firent les enfans de ce prince vers l’année cinq cens trente et un. Je conclus donc que c’est des Turingiens des Gaules ; que c’est des Tongriens qu’il faut entendre ce qu’a dit Gregoire de Tours dans le vingt-septiéme chapitre du second livre de son histoire : qu’ils furent domptés et assujettis par Clovis la dixiéme année du regne de ce prince.

Cet évenement n’est qu’un de ceux que Gregoire de Tours dit être arrivé entre la conquête des Etats de Syagrius et la conversion de Clovis. En effet l’historien après avoir fini son vingt-septiéme chapitre par les paroles que j’ai rapportées,

  1. Hist. lib. 2. chap. 17.