Page:Dubos - Histoire critique de l'établissement de la monarchie françoise dans les Gaules, Tome II, 1742.djvu/465

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Il est encore vrai que les souverains qui veulent imposer au grand nombre la necessité de parler la langue du petit nombre, ne reussissent pas toujours. Quelques efforts qu’aïent fait les rois Normands, pour obliger l’ancien habitant de l’Angleterre à parler la langue qu’ils parloient dans le tems qui la conquirent, ils n’ont pû en venir à bout. Le peuple conquerant a été enfin obligé à parler la langue du peuple conquis. Il est bien resté dans la langue vulgaire d’Angleterre plusieurs mots François, mais au fond cette langue est demeurée un idiome de la langue Germanique.

Or nous ne voyons pas que les rois Francs, ayent jamais entrepris d’engager les Romains des Gaules à étudier et à parler la langue naturelle des Francs, ni que ces princes ayent jamais tenté de la rendre, pour user de cette expression, la langue dominante dans leur monarchie. Au contraire, nos premiers rois se faisoient un mérite de bien parler latin. Fortunat loue le roi Charibert, petit-fils de Clovis, de s’énoncer en latin mieux que les Romains mêmes. » Que vous devez être éloquent, dit-il à ce Prince, quand vous vous exprimez dans la langue de vos Peres, vous qui êtes plus éloquent que nous autres Romains nous ne le sommes, quand vous vous exprimez dans notre langue naturelle. » Dans un autre poëme, Fortunat loue un frere de Charibert, le roi Chilpéric, en s’adressant à lui-même, d’entendre sans interprête les differentes langues dont ses sujets se servoient. Le plus grand nombre de ces sujets étoit Romain. Enfin tous les actes faits sous la premiere race, et que nous avons encore, sont en latin.

Nos rois laissant donc aller les choses suivant leur cours ordinaire, il a dû arriver que dans leurs Etats, la langue du plus grand nombre, devînt au bout de quelques générations, la langue ordinaire du petit nombre. Ainsi dès la fin du sixiéme siécle, on aura generalement parlé latin dans quinze des dix-sept provinces des Gaules, parce que les anciens habitans de ces quinze provinces, étoient des Gaulois devenus Romains, et parce qu’ils étoient en plus grand nombre que les Francs et les autres Barbares, qui avoient fait des établissemens dans ces quinze provinces.