Page:Dubos - Histoire critique de l'établissement de la monarchie françoise dans les Gaules, Tome II, 1742.djvu/514

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

nels n’étoient point justiciables du juge du lieu où ils avoient commis leur délit, mais du juge du lieu de leur domicile. Par exemple, il falloit renvoyer le bourgeois d’Orleans qui avoit commis un assassinat à Reims, pardevant le bailli d’Orleans. Que les personnes qui connoissent par expérience quels sont les inconvéniens qui ne font que retarder le cours de la justice, et quels sont ceux qui empêchent qu’elle ne puisse être rendue, décident si l’obligation de traduire les criminels devant le juge de leur domicile, ne devoit pas retarder plus long-tems la punition des coupables, et même empêcher enfin qu’elle ne fût faite, que de la diversité des codes, de laquelle il est ici question ? Croit-on que le juge du lieu où un délit avoit été commis par un homme domicilié ailleurs, fît de grandes diligences pour s’assurer de la personne du coupable, et pour ne point laisser périr les preuves, quand ce n’étoit point à lui de juger le coupable ? Quels frais ne falloit-il pas faire pour le transport de l’accusé et pour le voyage des témoins ? Malgré tous ces inconvéniens et plusieurs autres qu’il est aisé d’imaginer, l’usage qui vouloit que les criminels fussent justiciables du tribunal auquel leur domicile ressortissoit, a subsisté en France jusques sous le regne de Charles IX[1]. L’habitude qui fait regarder les abus les plus grossiers comme des coutumes tolerables, et qu’il seroit même dangereux de changer, avoit tellement prévenu les François en faveur de l’usage de renvoyer les accusés devant le juge du lieu de leur domicile, que le Chancelier de l’Hôpital n’osa l’attaquer qu’avec ménagement. Il se contenta donc d’abord d’engager le roi Charles IX à statuer : que si le délinquant étoit pris au lieu du délit, son procès seroit fait et jugé en la jurisdiction où le délit auroit été commis, sans que le juge fût tenu de le renvoyer à une autre jurisdiction sous laquelle l’accusé prisonnier se prétendroit domicilié. Ce ne fut que trois ans après, que Charles IX acheva de supprimer l’usage abusif dont nous parlons, en statuant dans l’ordonnance de Moulins : que la connoissance des délits appartiendroit au juge du lieu où ils auroient été commis, nonobstant que le coupable n’eût été pris en flagrant délit, et en reglant[2] que le juge du domicile du délinquant seroit tenu, lorsqu’il en seroit requis, de renvoyer le délinquant au lieu du délit.

  1. Ordonn. de Roussillon, Art. 29.
  2. Art. 39.