Page:Dubos - Histoire critique de l'établissement de la monarchie françoise dans les Gaules, Tome II, 1742.djvu/559

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benefices militaires, des biens chargés d’obligations qu’une femme ne pouvoit pas remplir. Nous l’avons déja dit dans le chapitre de ce livre, où nous avons traité de la loi de succession. Enfin ces terres Saliques étoient à plusieurs égards de même nature que nos fiefs nobles, et suivant toutes les apparences, elles en sont la premiere origine. On a même quelquefois donné le nom de terres Saliques à nos fiefs. Bodin qui écrivoit dans le seiziéme siecle, dit[1] : Et n’y a pas long-tems qu’en un Testament ancien d’un Gentilhomme de Guyenne produit en procès au Parlement de Bordeaux, le pere divise à ses enfans la Terre Salique, que tous interprétent les fiefs.

Il n’y a rien de plus vrai que tout ce qui vient d’être exposé, mais cela ne prouve point que Clovis ait ôté aux Romains une partie de leurs terres, pour en composer les benefices militaires ou les terres saliques, dont il vouloit gratifier ses Francs. Le contraire me paroît même très-vrai-semblable par deux raisons. La premiere, est que Clovis a pû donner des terres Saliques à ses Francs, sans enlever aux Romains des Gaules une partie de leurs fonds. La seconde, est que les monumens litteraires de nos antiquités ne disent, ni ne supposent en aucun endroit que Clovis ou quelqu’un, soit de ses predecesseurs, soit de ses successeurs, ait ôté aux Romains une partie de leurs fonds pour les repartir entre les Francs, et que ce silence seul montre qu’aucun de nos princes n’a commis une pareille violence. Traitons ces deux points un peu plus au long.

Je commencerai ce que j’ai à dire sur le premier point par deux observations. La premiere, est que nous avons déja fait voir, en parlant de l’avenement de Clovis à la couronne, que la tribu des Saliens, l’une des plus considerables de la nation des Francs, ne faisoit gueres que trois mille combattans. Supposé donc que les six ou sept autres tribus des Francs, l’histoire ne nous fait point entrevoir qu’il y en eut davantage, fussent aussi nombreuses que celles des Saliens, la nation entiere n’aura pas fait plus de vingt-quatre ou vingt-cinq mille combattans, comme il l’a été remarqué dans l’endroit de notre ouvrage qui vient d’être cité : voilà l’idée que le preambule de la loi Salique même nous donne de la quantité d’hommes qui se trouvoient dans la nation des Francs, lorsqu’il les loue d’avoir fait de grands exploits, bien qu’ils fussent en très-petit nombre. Ma seconde observation roulera sur ce que Clovis lorsqu’il mourut, avoit réduit sous son obéissance les deux provinces Germaniques

  1. Bodin. Republ. Liv. 6. cap. 5.