Page:Dubos - Histoire critique de l'établissement de la monarchie françoise dans les Gaules, Tome II, 1742.djvu/612

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Ce ne sont pas les souverains oeconomes, ou pour parler le langage du courtisan avide et dissipateur, les souverains avares, qui deviennent par leurs exactions le fleau de leur peuple. Il est bien rare du moins qu’un prince épuise ses sujets pour mettre dans un trésor où il y a déja un million de pieces d’or, cinq ou six cens mille piéces d’or de plus. Or les rois Mérovingiens étoient si oeconomes ; leur revenu étoit si grand par raport au peu de dépense qu’ils avoient à faire dans un Etat où le soldat même subsistoit communément du produit des terres domaniales dont la jouissance lui tenoit lieu de paye, que ces princes étoient toujours riches en argent comptant.

Quand Gregoire De Tours adresse la parole aux petits-fils de Clovis, qui par leurs guerres civiles détruisoient la monarchie que leur ayeul avoit fondée par sa bonne conduite, ne leur dit-il pas, que ce prince étoit venu à bout de ce vaste dessein, sans avoir comme eux des coffres pleins d’or et d’argent. Quand Frédegonde veut persuader à Chilpéric de jetter au feu les cahiers de sa nouvelle description, elle lui dit : n’y a-t-il point déja dans notre trésor assez d’or, d’argent et de joyaux[1]. Enfin Grégoire de Tours raconte rarement la mort d’un des rois dont il écrit l’histoire, sans faire quelque mention du trésor que ce prince laissoit.

Mais, dira-t-on, les rois mérovingiens n’avoient-ils jamais un besoin pressant de quelque somme de deniers ? Je suis persuadé que souvent il leur est arrivé d’avoir besoin d’argent ; mais alors ils en trouvoient, ou par les avances des Juifs, ou par la confiscation de quelque riche coupable qu’ils condamnoient. Il y avoit alors dans le royaume, comme il y en aura toujours aussi-bien que par tout ailleurs, de ces hommes méchamment industrieux, qui sçavent se faire des fortunes odieuses, soit en pillant le peuple, soit en volant le prince. Ainsi les rois, dont je parle, n’étoient point embarassés à trouver une victime dont le sacrifice leur devenoit doublement utile, parce qu’il consoloit les sujets en même tems qu’il enrichissoit le fisc. Aussi l’histoire des deux premiers siécles de la monarchie de Clovis est-elle remplie d’exemples d’une justice sévere, exercée par le prince même contre des personnes puissantes dont les biens étoient confisqués. On en sçait assez pour comprendre qu’elles étoient criminelles ; mais on entrevoit assez clairement, qu’elles n’auroient

  1. Greg. Tur. Hist. Lib. 3. cap. 35.