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JOURNAL

d’une main et leur biscuit de l’autre, ou attendre les uns après les autres, pour se servir du couteau et de la fourchette. Quant aux cuillières nous réussîmes à coller des petits bouts de bois avec lesquels nous fîmes des cuillères ou palettes qui nous servirent à manger notre soupane (bouillie d’avoine). Nous n’avions par jour qu’une pinte d’eau chacun ; ration bien insuffisante pour étancher la soif brûlante que nous causaient nos vivres salés. On ne nous accordait la jouissance de demeurer sur le pont supérieur, que deux heures par jour : nous nous y rendions par sections de trente six à la fois pour éviter la confusion ; c’était le seul temps où nous pouvions respirer l’air pur et frais. Un tiers du Pont nous était accordé pour y prendre de l’exercice.

Le 30 Septembre, le vent continuait toujours à souffler avec violence du Sud Ouest ; nous filions grand train ; nous eumes en vue le Cap Gaspé, nous nous divertîmes pendant nos deux heures de récréation à regarder une quantité innombrable de Poursils qui entouraient le bâtiment. Ce sont de gros poissons de cinq à six pieds qui sautent hors de l’eau. Nous vîmes aussi deux bâtiments, à une petite distance de nous. Nous filâmes ainsi avec la même brise jusqu’au 2 Octobre que le vent souffla avec une impétuosité extraordinaire ; la mer était en courroux ; les flots s’élevaient à une hauteur prodigieuse. Bien que j’eusse souvent entendu parler de la mer, lu des relations de navigateurs, j’avoue que je fus étonné de voir les vagues si grosses, le vaisseau se balançait d’une