Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/11

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moyen âge, à la fois dogmatique et ascète, il y a une distance infinie : la distance de la terre au ciel ; et les philosophes ont raison d’opposer avec insistance le siècle des croisades au siècle de l’Encyclopédie, puisque rien n’est plus contraire et plus hostile à la foi naïve du premier que la raison critique du second. Seulement, ils ont tort de se figurer parfois que c’est leur « siècle éclairé » qui, seul, a dissipé « les ténèbres » répandues sur le monde par le catholicisme du moyen âge. Faire voir, au contraire, qu’il y a eu des éclaireurs nombreux sur la longue route qui va du siècle de saint Louis au siècle de Voltaire, c’est-à-dire indiquer brièvement, mais aussi nettement que possible, quels ont été les précurseurs de l’Encyclopédie, tel sera l’objet du présent chapitre.

Nature, raison et humanité, ces trois idées directrices auxquelles nous ramenons, comme à leurs principes, toutes les théories du dix-huitième siècle, devaient logiquement naître l’une après l’autre et l’une de l’autre : en effet, si la nature est bonne et tous ses plaisirs légitimes, que faudra-t-il penser d’une religion qui menace de peines éternelles l’enfant de la nature, docile à l’attrait du plaisir permis et à la voix de ses passions innocentes ? C’est la chair qui devait protester la première contre le rigorisme chrétien, parce que ses exigences sont autrement impérieuses que celles de l’esprit, et parce qu’en somme, il faut vivre avant de philosopher. Le mot très juste de Massillon, sur les libertins de son temps, peut s’appliquer à l’histoire même de la libre pensée : « On commence par les passions, les doutes viennent ensuite. » Ils viennent, pourtant, à la suite des passions révoltées, et la religion a désormais de nouveaux ennemis à combattre ; c’est le règne du scepticisme, règne qui peut durer longtemps, mais qui ne saurait être qu’une époque de transition ; l’homme, être actif par essence, n’était pas né pour nier ou suspendre indéfiniment son jugement, mais pour affirmer ou pour croire. On sortira donc du doute, paresseux et passif, par un acte de foi et, naturellement, de foi à la faculté même qui a éveillé en nous tous les doutes, c’est-à-dire à la raison humaine ; et voici