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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/125

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sertation sur la voix des eunuques, tandis que quelques lignes à peine sont accordées aux Allemands, on ne peut que donner raison au chef lui-même de l’Encyclopédie, qui s’écriait avec amertume : « Ici nous sommes boursouflés, nous avons un air hydropique ; là, maigres et décharnés, nous ressemblons à des squelettes[1]. » Et Diderot s’en prenait aux collaborateurs rebelles à ses instructions, à tel, par exemple, qui, sur la manière de tapisser en papier, lui apportait deux volumes, alors qu’une feuille eût suffi. Il eût dû avant tout s’en prendre au Directeur, intarissable lui-même, qui, faisant à la philosophie la part du lion, par la raison qu’il était philosophe, écrivait, par exemple, quarante-huit colonnes sur l’éclectisme, c’est-à-dire, précisément ce qu’il reprochait aux autres, un mémoire au lieu d’un article.

Ce qui, encore plus que la disproportion non motivée entre les sciences et les articles qui en traitent, compromet l’unité de l’ensemble, ce sont des contradictions choquantes qu’il nous serait très facile de relever en peu de mots. Par exemple, on y fait, en certains endroits, l’apologie des arts, du luxe et de tout ce qui donne du prix à la vie civilisée, tandis qu’on exalte ailleurs les Scythes pour cette raison seule qu’ils sont « naïfs et barbares ». Ainsi on est tantôt Voltairien et tantôt, qu’on nous passe le mot, Jean-Jacobin sans avoir tenté, ce qui était en effet difficile, de réconcilier les frivoles « Mondains » avec les rustiques « habitants de la petite ville au pied des Alpes[2] ». À l’article Pasques, on nous avait appris que la fête ainsi nommée avait été établie en mémoire du passage de la mer Rouge ; mais à l’article Pâques, article qui fait double emploi d’ailleurs avec le premier, on nous apprend que cela est faux, si bien que le lecteur, balloté d’une assertion à l’assertion contraire, ne sait plus ce qu’il doit tenir pour vrai. Déjà, au dix-huitième siècle, un des plus ardents prôneurs de l’Encyclopédie, Grimm, laisse échapper cette plainte expressive : « On y

  1. Diderot, Œuvres, XIV, 455. [Article Encyclopédie, p. 641 A.]
  2. Sous-titre de la Nouvelle Héloïse.