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recherchons le bonheur et ne trouvons que misère et que mort. Nous sommes incapables de ne pas souhaiter la vérité et le bonheur et nous sommes incapables ni de certitude ni de bonheur. Ce désir nous est laissé, tant pour nous punir que pour nous faire sentir d’où nous sommes effondrés[1]. » Qu’on écoute, au contraire, cette prière profane qui fut sur les lèvres de tous les philosophes du dix-huitième siècle : « Ô Nature, s’écrie Diderot, souveraine de tous les êtres et vous, ses filles adorables, Vertu, Raison, Vérité, soyez à jamais nos seules divinités. C’est à vous que sont dûs l’encens et les hommages de la terre. Montre-nous, ô Nature, ce que l’homme doit faire pour obtenir le bonheur que tu lui fais désirer[2]. »

Or, cette invocation à la Nature n’est que l’écho, prolongé à travers les âges, des cris de joie et de délivrance par lesquels la Renaissance italienne célébrait, au sortir du triste moyen âge, son retour à la libre antiquité, c’est-à-dire à la libre nature. C’est, en effet, dans l’Italie du quinzième siècle que les Philosophes ont eu leurs premiers ancêtres. L’ascétisme du moyen âge faisait une trop grande violence aux instincts naturels de l’humanité : comme ces cathédrales gothiques qui n’ont pu être achevées telles qu’on les avait projetées, parce qu’elles sont un défi jeté aux lois de la pesanteur, c’est-à-dire à la nature des choses, ainsi le système social du moyen âge ne parvint jamais à s’édifier complètement, parce qu’il était, lui aussi, un audacieux défi à la nature humaine. La foi avait beau être sincère et profonde ; les réalités de la vie furent les plus fortes. C’est l’Italie qui protesta la première en faisant revivre en elle l’âme virile et sereine de l’antiquité. L’antiquité, qui semble renaître avec les humanistes italiens, n’avait pas connu les sombres remords qui torturent la conscience du pécheur, car remords, conscience et péché étaient autant de notions étrangères à une société qui

  1. Pensées, édit. Havet. I, 120.
  2. Cette invocation fut écrite par Diderot pour le baron d’Holbach, à la fin du Système de la Nature.