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n’avait, pour bien vivre, qu’à suivre docilement les préceptes de la nature[1]. La volonté du chrétien est, comme on dit, hétéronome, c’est-à-dire se voit imposer des lois morales par une volonté extérieure et supérieure à la sienne, et le premier commandement de cette morale austère est que le fidèle doit terrasser l’ennemi qu’il porte en lui-même, la chair, source de tout mal et de toute souillure ; ne sait-il pas que, s’il ne sort pas vainqueur de cette lutte intestine et sans cesse renaissante, l’enfer l’attend au jour marqué par la colère céleste : dies iræ, dies ilia ; le paradis ne s’ouvrira que pour les « athlètes » de Dieu qui ont tué en eux le vieil homme, c’est-à-dire l’homme de la nature. Mais c’est cet homme de la nature qui était le vrai sage pour l’antiquité : l’âme antique, en effet, est autonome ; elle ne reçoit pas d’en haut, mais elle se fait à elle-même sa règle de vie ; elle ne connaît le mal que comme une simple limite à la nature humaine et non comme un adversaire qui lui tend perpétuellement des embûches. Et elle ne connaît pas davantage cette guerre des deux principes rivaux que nous portons en nous, l’esprit et la chair ; car son idéal n’est pas d’assurer le triomphe de l’esprit sur la chair, mais de maintenir en équilibre et de développer, dans une belle harmonie, toutes les énergies de l’âme et du corps. Telle est la conception païenne de la vie qui séduisit les hommes de la Renaissance italienne : le risorgimento, c’est le réveil de l’homme tout entier, corps et âme ; c’est la réhabilitation, par les arts, de la nature, qui est bonne à

  1. Il est à remarquer que le mot de nature, au sens de cours régulier des choses, n’existe pas dans les langues primitives, tout étant miraculeux pour les premiers hommes ; on ne trouve pas davantage dans l’Ancien Testament ce sens philosophique qui fut donné pour la première fois par les Grecs et leurs disciples romains au mot nature (voir Sabatier : Esquisse d’une philosophie de la religion.) Écoutez au contraire Marc-Aurèle : « Tout ce qui t’arrange m’arrange, ô cosmos. Rien ne m’est prématuré ou tardif de ce qui pour toi vient à l’heure… L’homme doit vivre selon la nature pendant le peu de jours qui lui sont donnés sur la terre, et, quand le moment de la retraite est venu, se soumettre avec douceur, comme une olive qui, en tombant, bénit l’arbre qui l’a produite et rend grâce au rameau qui l’a portée. »