Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/163

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de Voltaire quand il écrira son Traité sur les délits et les peines : « La recherche des crimes exige des rigueurs ; c’est une guerre que la justice humaine fait à la méchanceté ; mais il y a de la générosité et de la compassion jusque dans la guerre ; le brave est compatissant : faudrait-il que l’homme de loi fût barbare ? » Dans de tels passages, la philosophie n’a pas été seulement humaine, mais, ce qui est, en un sens, supérieur, tout comme la générosité est supérieure à la simple humanité, elle s’est montrée bien française.

On s’est souvent moqué, et non sans raison, de la sensibilité larmoyante du dix-huitième siècle. Mais quand les philosophes s’émeuvent et cherchent à émouvoir leurs contemporains en faveur des malheureux que l’on condamne si légèrement aux plus épouvantables supplices, quand Voltaire, par exemple, dit cette belle parole, qui caractérise si bien son siècle et que le siècle précédent n’eût pas comprise : « Le sang des hommes doit être ménagé » ; alors nous pardonnons volontiers aux philosophes tant de pages ridiculement sensibles et nous ne pensons plus qu’aux protestations généreuses que leur dicta cette même sensibilité, désormais réhabilitée à nos yeux et même anoblie, car les réformes qu’elle provoqua, c’est la postérité et c’est l’Europe entière qui devaient en bénéficier : « Les philosophes français, dit un jurisconsulte allemand, sont les premiers sur le continent qui élevèrent la voix pour conquérir à l’accusé, toutes les garanties légales qui maintenant sont usitées chez tous les peuples civilisés[1]. » Ce que Beccaria, par exemple, doit à Montesquieu et aux Encyclopédistes, il l’a lui-même proclamé ; les réformes qu’il réclame, d’ailleurs, et c’est là la grande nouveauté de son livre, il les présente comme étant des « droits de la raison », de cette raison qui, grâce à nos philosophes, est devenue alors européenne ; car à peine Morellet aura-t-il traduit en français

  1. Ed. Hertz ; Voltaire und die französische Strafrechtspflege im achtzehnten Jahrhundert, Stuttgard, 1887.