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discussions politiques, les sujets, mécontents sans doute et raisonneurs, mais nullement les sujets rebelles d’un monarque absolu. Ils ne rêvèrent jamais sérieusement, bien qu’ils aient souvent employé ces mots qui n’avaient pour eux aucun sens précis, d’être les citoyens d’une république libre.

Les vrais révolutionnaires, j’entends à l’égard de la monarchie, et cela, dès le commencement du siècle, ce ne sont pas les philosophes, mais les Parlementaires[1] ; à quoi tendent, en effet, les sournoises remontrances du Parlement, sinon à usurper peu à peu sur la royauté le pouvoir législatif, à bouleverser par conséquent la Constitution ou, tout au moins, ce qui alors en tenait lieu, les traditions constitutionnelles du royaume ; qu’ils réussissent et le gouvernement de la France sera modifié dans son principe même ; ce n’est plus le roi, mais le parlement qui fera la loi dans tous les sens du mot ; bref, ils auront fait dans l’État une véritable révolution. Qu’on écoute ce que dit Barbier en 1763, alors que, parvenu au terme de son Journal, il finit par souhaiter le triomphe des Parlementaires : « Si l’on parvient à diminuer l’autorité des parlements et de leurs prétendus droits, il n’y aura plus d’obstacle à un despotisme assuré. Si, au contraire, les parlements s’unissent pour s’y opposer par de fortes démarches, cela ne peut être suivi que d’une révolution générale dans l’État[2]. » Au contraire, le triomphe des philosophes n’aurait pas amoindri, il aurait bien plutôt fortifié l’autorité royale. Ce qu’ils ambitionnent, en effet, ce n’est point de participer au gouvernement, ce n’est pas même de le contrôler, puisqu’ils ne songent pas, on l’a vu, à conquérir la liberté politique ; tous leurs vœux se bornent à l’adoucissement des droits féodaux dans ce

  1. « Dans toute la première moitié du dix-huitième siècle, je ne vois dans le Tiers-État que ce seul foyer de l’opposition, le Parlement, et, autour de lui, pour attiser le feu, le vieil esprit gallican ou janséniste. » (Taine, Anc. Rég., 400.)
  2. « Les remontrances du Parlement, écrivait lord Chesterfield, tendent à ce que nous appelons ici les principes de la Révolution. » (Lettres, édit. 1842, II, 261.)