Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/197

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rité où il faut qu’ils tombent, et, dans les esprits, un moment de satiété et de lassitude qui conduit à en changer et qui est précédé par une inquiétude sourde qui porte les hommes à une révolution[1]. »

C’est ainsi que les abus de l’ancien régime étaient arrivés, dès le milieu du dix-huitième siècle, à leur « point de maturité », pour ne pas dire de pourriture, et tous les esprits étaient naturellement impatients de voir luire une aube nouvelle : c’est à ce moment que naissait l’Encyclopédie. L’opinion publique ou, mieux encore, le mécontentement public l’avait donc devancée, et, loin de provoquer, comme on l’a dit parfois, cet état des esprits, elle n’avait eu, pour réussir, qu’à s’en inspirer. Seulement, et c’est ici que commence vraiment leur rôle, ce que le public sentait confusément, les Encyclopédistes le formulèrent avec précision — avec la précision relative que permettait la censure ; mais tout le monde alors comprenait à demi-mot ; et puis, tous ces griefs de l’opinion, ils les rassemblèrent comme en un faisceau dans leur dictionnaire, les fortifiant et les aiguisant l’un par l’autre, et, jour à jour ils élevaient leur colossale machine de guerre qui, on s’en souvient, devenait plus agressive en grandissant. Qu’on lise, par exemple, cet ardent réquisitoire où sont rassemblées en quelques lignes et présentées avec une amère ironie les iniquités sociales du temps : « Tous les avantages de la société ne sont-ils pas pour les puissants et les riches ? Tous les emplois lucratifs ne sont-ils pas remplis par eux seuls ? Toutes les grâces, toutes les exceptions ne leur sont-elles pas réservées ? Qu’un homme de considération vole ses créanciers, n’est-il pas sûr de l’impunité ? Les coups de bâton qu’il distribue, les violences qu’il commet, les meurtres mêmes dont il se rend coupable, ne sont-ce pas des affaires qu’on assoupit et dont, au bout de six mois, il n’est plus question ? Que ce même homme soit volé, et toute la police est aussitôt en mouvement, et malheur aux innocents qu’il soupçonne… Que le tableau du pauvre est

  1. Grimm, VI, 346.