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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/198

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différent ! S’il y a des corvées à faire, une milice à tirer, c’est à lui qu’on donne la préférence ; il porte toujours, outre sa charge, celle dont son voisin plus riche a le crédit de se faire exempter[1]. »

Pendant que les Encyclopédistes consignaient ainsi leurs griefs dans le Dictionnaire, des tirailleurs, qui étaient leurs collaborateurs ou leurs amis, escarmouchaient, à côté d’eux, contre les abus particuliers, et Voltaire, leur soufflant à tous son ardeur belliqueuse, faisait partir, sans trêve ni merci, ses « petits pistolets de poche », plus redoutables cent fois pour l’ancien régime que les gros ouvrages et les longs articles de tous les Encyclopédistes réunis ; car la volumineuse Encyclopédie coûtait cher et ceux qui l’achetaient, sans aller sans doute jusqu’à s’asseoir dessus pour lire Candide, comme Chesterfield le conseillait à son fils, la feuilletaient plus qu’ils ne la lisaient : mais on dévorait les courts pamphlets de Voltaire d’où partaient, comme des fusées, ces phrases lumineuses et légères qui tuaient avec tant de grâce les vieux préjugés et leurs maladroits défenseurs.

C’est ainsi que les philosophes entretenaient sans cesse l’agitation des esprits à la fois par la critique véhémente de ce qui était et par le séduisant tableau de ce qui pourrait être, par la peinture de la société parfaite où l’on verrait renaître la liberté et l’égalité de l’antique Sparte (moins les Ilotes !) et qui sait ? peut-être les félicités, tant de fois rêvées, de cet état de nature qu’ils se plaisaient à parer des plus belles couleurs ; le tout pour mieux faire sentir et maudire les choquantes inégalités de la société actuelle[2].

Maintenant ce mécontentement général, que les philosophes ont exaspéré, s’ils ne l’ont pas provoqué, n’a fait que

  1. Art. Économie politique, de J.-J. Rousseau.
  2. Voir surtout l’amusant article de l’Encyclopédie : Âge d’or. Ils savaient pourtant à quoi s’en tenir sur cette Sparte si vantée : « Lycurgue fit des moines armés ; il forma des bêtes féroces très formidables. » Sept lettres de Diderot à Catherine publiées par M. Grot dans la collection pour la Société impériale pour l’histoire de Russie, St-Pétersbourg, 1881.