Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/207

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génuflexions devant l’autel qu’ils avaient juré de détruire ? À coup sûr, la prudence était nécessaire à des auteurs qui signaient leurs articles et ne paraissaient qu’avec privilège royal ; permis à eux, par conséquent, d’ouvrir peu à peu et l’un après l’autre les doigts de la main qui est pleine de vérités, puisqu’on risque, si l’on ouvre brusquement la main tout entière, de se voir, pour ainsi dire, couper le poignet : mais ouvrir l’autre main qui est pleine de mensonges, comment ont-ils pu se résigner à une telle palinodie ? Ne suffisait-il pas, par exemple, pour désarmer les plus sévères censeurs, de parler respectueusement des dogmes et des cérémonies de l’Église, sans emprunter la lyre de David et sans prendre ces airs dévots qui faisaient dire avec raison à leurs adversaires que la philosophie, elle aussi, avait ses Tartuffes ? On ne peut se défendre complètement de penser à eux, et c’est là leur châtiment, en lisant ces vers que Voltaire lançait précisément contre leurs ennemis :


Le fanatisme est terrassé,
Mais il reste l’hypocrisie[1].

Ils sentaient vaguement eux-mêmes qu’ils étaient allés trop loin, qu’ils n’avaient pas seulement manqué de sincérité, mais de mesure et de tact, ce qui ne saurait nous étonner de la part de Diderot ; mais ce qui est fait pour nous affliger, c’est qu’on ne voit nulle part qu’il se fasse violence à lui-même pour dire le contraire de ce qu’il pense ; loin de là, toutes les faussetés qu’il débite, on sent très bien qu’elles ne lui coûtent guère, qu’il n’en a pas le moindre remords, tant son style est rapide, débordant et passionné comme toujours : on dirait qu’il écrit de verve et presque d’inspiration ! Évidemment c’était chez lui un système, une conviction très arrêtée, que rien au monde n’est plus licite que de mentir à bonne fin : le jeune bohème qui avait jadis escobardé les ducats de frère Ange en fei-

  1. Voltaire : Les Torts.