Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/225

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Il y a donc bien vraiment un esprit encyclopédique, c’est-à-dire un esprit de parti, ce qu’ils appellent entre eux, quand ils se disent leurs vérités : « un esprit de clique et de cabale. En présence d’une grande action, vous vous demandez : celui qui l’a faite est-il des nôtres[1] ? »

Comme le leur reprochait Le Franc de Pompignan, ils forment, en dépit de leurs petites rivalités et de leurs rancunes personnelles, une très redoutable et très insupportable coterie. C’est ce qui n’a pas échappé à tous ceux qui, de leur temps ou du nôtre, ont parlé des Encyclopédistes : mais ce qu’on n’a pas voulu voir, c’est que ces mêmes Encyclopédistes ne faisaient en cela qu’user de représailles et qu’en somme leur esprit de coterie n’était que la réplique obligée à cet esprit de corps dont leurs adversaires leur donnaient, et à ce moment même, des preuves aussi irritantes que maladroites.

Le plus grand obstacle, en effet, à la réalisation de leurs vœux les plus légitimes et, en général, à toutes les réformes que réclame l’opinion, c’est, durant tout le dix-huitième siècle, l’entêtement unanime des privilégiés, nobles ou prélats, à ne rien céder de ce qu’ils considèrent comme leur propriété inaliénable et sacrée.

Qu’on se rappelle ce décret de 1781 qui déclare inhabile à devenir capitaine tout officier qui n’est pas noble de quatre générations ; une autre décision du Conseil décrète que tous les bénéfices ecclésiastiques, sans exception, seront

    chez les Libraires même, et jusque chez des Comédiens, pour être à couvert des ridicules du théâtre. » (Œuvres de Palissot, Liége, 1777, III, 272). Et Dorat lui-même interrompt son éternel ramage amoureux pour maudire les « grands hommes des coteries » :

    Faites galoper vos agents,
    Extirpez les erreurs funestes :
    Mais, pour Dieu ! soyez bonnes gens,
    Et, si vous pouvez, plus modestes…
    Vos intrigues sont malhonnêtes,
    Vous protégez des étourneaux,
    Vos Sévignés sont des caillettes.

    (Œuvres de Dorat : Coup d’œil sur la Littérature, 1780, t. II.)

  1. Grimm, 1er janvier 1770.