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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/236

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morale[1]. » En attendant, il s’efforçait de rester impartial entre les deux partis — sans y réussir tout à fait, nous le reconnaissons ; car cette balance, qu’il voulait tenir égale entre Voltaire et Fréron, il semble bien que, par moments, il l’ait fait pencher du côté de Voltaire. C’est que, sans parler des difficultés inouïes de son administration, si mal définie, si pleine d’embarras de toutes sortes, il lui était bien difficile de ne pas se tromper et même de favoriser ou de paraître favoriser les uns aux dépens des autres : « Je n’ai de l’aversion que pour l’injustice, écrivait-il à Jean-Jacques ; et encore ne sais-je pas si cette aversion n’a pas cédé quelquefois au sentiment qui me ramène toujours aux gens de lettres ». Et ces gens de lettres, encore une fois, qui étaient-ils ? D’un côté, des hommes médiocres, ennuyeux à périr ; de l’autre, le talent et la verve, la raison et l’esprit. Avant de le juger, qu’on se figure Malesherbes lisant, ou parcourant plutôt (car qui n’aurait succombé à une telle lecture !) les cinq volumes des Lettres Helviennes ou les huit volumes des Préjugés légitimes contre l’Encyclopédie, puis passant aux pages éloquentes ou endiablées de l’Émile ou de Candide et qu’on s’étonne alors que, malgré son sincère désir de rester impartial, il ait favorisé Jean-Jacques et Voltaire au détriment des Chaumeix et des Pompignan !

Il y a plus : Malesherbes aurait souhaité s’attacher ces gens de lettres auxquels s’attachait l’opinion, cette puissance du temps, et, des sympathies qu’il leur aurait inspirées, faire bénéficier la royauté : le passage suivant n’est-il pas, à ce point de vue, tout à fait révélateur ? « Vous voyez où j’en veux venir (par la suppression de la censure) ; de rendre les auteurs plus libres, mais, en même temps, de faire exposer à M. Diderot que, s’il achève l’ouvrage (l’En-

  1. Bibl. nation., f. fr. 22191 et Mme de Staël, dans ses Considérations sur la Révol. franç. : « M. de Malesherbes voulait la suppression de la censure… Il y a plus de quarante ans qu’il soutenait cette doctrine ; il aurait suffi de l’adopter alors pour préparer, par les lumières, ce qu’il a fallu céder depuis à la violence. »