Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/24

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ne fit, en effet, c’est le mot de l’un d’eux : « qu’entrevoir la vérité[1] ».


III

Rabelais ne devait être qu’un amuseur pour les Libertins du dix-septième siècle : leur maître à penser, ou plutôt à douter, ce sera Montaigne. C’est lui qui va être le guide de tous ces esprits, à la fois indisciplinés et désemparés, qui, ne croyant plus et ne sachant pas encore, ne peuvent que se répéter à eux-mêmes son fameux ; que sais-je ?

On connaît le mot de Huet sur la fortune des Essais : tout gentilhomme de campagne qui veut se distinguer des simples preneurs de lièvres en a un exemplaire sur le manteau de sa cheminée. Et, de même, pouvons-nous ajouter, tout « penseur » du dix-huitième siècle qui se distingue des dévots, en aura un exemplaire, sans cesse feuilleté, dans sa bibliothèque. Mme du Deffand, qui n’aimait pas les philosophes, aurait voulu jeter au feu leurs immenses volumes, excepté, disait-elle, « Montaigne, qui est leur père à tous ». L’aveugle clairvoyante, comme on l’appelait, avait, cette fois, très bien vu ; car, si elle avait surmonté l’ennui que lui causaient les gros livres des Encyclopédistes, elle y aurait retrouvé Montaigne, cité ou pillé, en maints endroits.

Qu’est-ce donc qui valait au sage Montaigne de si compromettants disciples et pourquoi de simples « rêveries, si frivoles et si vaines » à l’en croire, allaient-elles devenir tour à tour, au dix-septième siècle, « un des ouvrages cabalistiques des Libertins », suivant le mot du père Garasse, et, au dix-huitième, le livre de chevet des Encyclopédistes ? Sainte-Beuve a montré déjà (avec quelle finesse d’aperçus et quelle souplesse de style, c’est ce que savent tous les lecteurs de son Port-Royal), comment Montaigne « étant,

  1. D’Holbach : Le Christianisme dévoilé, 266.