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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/26

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la vérité ou, tout au moins, la vraisemblance jusqu’au feu exclusivement, eux, à leur tour, et pour les mêmes raisons, ils n’aimeront, dans l’Encyclopédie, les quolibets contre la religion que jusqu’à la Bastille exclusivement. Ainsi Montaigne est trop bon catholique pour jamais mal parler des miracles du catholicisme : il n’en vont qu’à ceux du paganisme et c’est ceux-là seuls qu’il se plaît à railler ; tout au plus insinuera-t-il en passant cette vérité un peu générale que « c’est un grand ouvrier de miracles que l’esprit humain », (il ne dit pas : l’esprit païen). Maintenant, pour appliquer aux miracles et aux dogmes chrétiens ce qu’il dit des dogmes païens, que faut-il faire ? Tout simplement raisonner de même ; « il n’y a qu’un demi-tour de cheville » pour passer des uns aux autres. Libre au lecteur de faire le pas : Montaigne a, quant à lui, une religion « inébranlable » (tout comme les Encyclopédistes) et, bien loin de vouloir ébranler celle des autres, il les réconforte et leur propose même en exemple la pieuse conduite des animaux : « Les éléphants ont quelque participation de religion, d’autant qu’après plusieurs ablutions et purifications, on les voit, haussant leur trompe comme des bras et tenant leurs yeux fichés vers le soleil levant, se planter longtemps en contemplation et en méditation à certaines heures du jour. » Et maintenant, rois du monde, hommes, tâchez de comprendre et par le touchant exemple que vous donnent ces animaux, instruisez-vous, vous qui êtes ou qui croyez être les grands de la terre ! Les Encyclopédistes, malgré leur fertilité d’imagination en pareille matière, ne trouveront rien d’aussi beau que ces pieux éléphants pour l’édification des fidèles.

Mais pourquoi donc ici, comme dans bien d’autres passages, dans l’apologie de Raymond Sebond, par exemple, cet inépuisable arsenal pour les Pyrrhoniens qui vont venir, pourquoi Montaigne prend-il plaisir à nous assimiler aux animaux ? il veut humilier et abattre la raison humaine, railler « l’amas des âneries de l’humaine science » et cette philosophie présomptueuse qui « se vante d’avoir trouvé