Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/27

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

la fève au gâteau. » C’est ici que les Philosophes faussent compagnie à leur ordinaire sergent de bande, car ils prétendent, eux, par l’Encyclopédie, propager la science et accréditer la raison et même le raisonner, comme dira Voltaire ; et jamais siècle n’ouït (ce qui aurait mis en fuite Montaigne), un tel tintamarre de cervelles philosophiques. Les philosophes laisseront donc à Montaigne toutes ses plaisanteries et nasardes à l’adresse de la raison : ce n’est pas là jeu d’Encyclopédistes, car ils sont, eux, aussi hardis dans leurs affirmations rationnelles que Montaigne est timide dans ses « conjectures ». Ce qu’ils laisseront aussi à Montaigne, mais ce qu’ils auraient bien voulu lui prendre, c’est son style. Après avoir cité un passage des Essais, Diderot s’écrie qu’il donnerait, pour cette page de Montaigne, la meilleure des siennes, et le lecteur ne peut qu’être de l’avis de Diderot. Convenons même que ce ne serait pas être bien sévère pour le style des Encyclopédistes que de trouver seulement qu’il ne vaut pas celui de Montaigne.

Vivre à la façon de Rabelais et douter comme le fait parfois Montaigne, cela s’appellera, au siècle suivant, le Libertinage de mœurs et le Libertinage de créance. Les Esprits forts ont d’ailleurs complété leur éducation auprès des épicuriens de la Renaissance qu’ils ont eu différents moyens de connaître ; à la suite de Catherine de Médicis, un certain nombre d’Italiens étaient venus en France, apportant, dans leurs bagages, toute espèce de recettes pour guérir les corps malades de leurs infirmités et délivrer les âmes pécheresses de leurs remords. Tel était, par exemple, ce Ruggieri qui, au dire de Bayle, mourut en athée après avoir passé sa vie à tirer des horoscopes. Il en vint de moins charlatans et de plus dangereux pour la foi établie : ainsi le philosophe panthéiste Bruno qui soutint en Sorbonne cette thèse hardie : Intellectus in investigando sit liber non ligatus ; Vanini, surtout, qui eut en France de puissants amis et fit de nombreux disciples, écouté et fêté dans plusieurs grandes villes jusqu’au jour où « ce pauvre papillon, venu du fond de l’Italie, alla se brûler au feu du