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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/291

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De tous les ennemis des Encyclopédistes, le plus infatigable et le plus vaillant fut Fréron, surnommé très justement « la bête noire des philosophes ». Taillé en athlète comme Diderot, et, comme lui, à la tête d’une véritable encyclopédie, car son journal rendait compte de tout ce qui paraissait dans tous les ordres de sciences, Fréron combattit les philosophes pendant vingt-sept ans avec la persévérance d’un Breton et le courage d’un vrai critique[1].

Bon élève des jésuites et resté tel toute sa vie, il savait peu de chose et s’étonnait très sincèrement qu’on s’avisât de penser en religion et en littérature autrement que les grands écrivains du siècle passé : « ils ne sentent pas (les philosophes) que l’on ne doit s’attacher qu’à bien développer les idées qui sont dans tous les esprits » ; ainsi s’exprime Fréron dans son Discours de réception à l’Académie de Nancy. C’était un classique attardé dans le siècle des lumières, mais, par cela même, capable sinon d’apprécier l’originalité, du moins de critiquer le mauvais style des philosophes. Il descendait, par sa mère, du poète qui avait été jadis « le tyran des mots et des syllabes » et, pour ne pas mentir à ses origines, il ne craignait pas de rappeler Voltaire lui-même au rudiment ; ainsi il écrivait, avec la gravité d’un maître d’école, que « les ouvrages de Voltaire fourmillent de fautes grammaticales ». Il possédait, en revanche, deux qualités très précieuses à un critique : l’ironie, dont les Encyclopédistes, sauf Voltaire, ne faisaient pas grand usage et pour cause, et la modération, si étrangère à ses ennemis, dont le plus spirituel était aussi le plus injurieux.


    de Fréron ? et je ferai une bonne satire et je la vendrai quatre cents francs et je me donnerai un habit neuf à Pâques ». La Préface, encore qu’un peu longue, était plus comique, à tout prendre, que la comédie. Morellet avait mis en scène la princesse de Bobecq, au grand scandale, on l’a vu, de Voltaire, et il fut, pour ce méfait, mis à la Bastille, ce qui, du coup, le rendit célèbre. (Voir Mél. de litt. et de philos. du dix-huitième siècle, par l’abbé Morellet, Lepetit, 1818, II, 3).

  1. Fréron, après avoir rédigé les Lettres sur quelques écrits de ce temps (de 1747 à 1756), 12 volumes, dirigea l’Année littéraire, qui comprend 183 volumes (de 1754 à 1776).