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sainte Église romaine. La triste fin de Vanini et l’emprisonnement de Théophile avaient appris aux Libertins à se taire dans les endroits publics ; c’est pourquoi ils avaient adopté la devise des Sceptiques italiens : Intus ut libet, foris ut mos est. Au dehors, « par bienséance et maxime d’État », on était de parfaits chrétiens ; mais à table, les langues se déliaient, et on se montrait alors tel qu’on était : in vino veritas. Or, jamais peut-être, et c’est là le fait à noter, on n’avait parlé de l’Église en termes si hardis et si irrévérencieux ; on n’a plus que faire, maintenant, des plaisanteries traditionnelles sur les couvents et les moines ; c’est dans le sanctuaire qu’on ose entrer la moquerie aux lèvres, et ce sont les fondements de la religion, les dogmes même qu’on foule aux pieds en ricanant.

Pourquoi, par exemple, « s’alambiquer la cervelle à connaître des questions de si petite conséquence, comme sont celles de l’incarnation du Messie et de l’Eucharistie et autres chenevottes de la religion ? Cela est bon pour les faibles esprits de la populace et pour la bigoterie des femmes. » Et que nous parle-t-on aussi d’un enfer ? « Jamais personne en est-il revenu pour nous en donner des nouvelles ? C’est un épouvantail de chenevière, bon tout au plus pour faire peur aux enfants. » D’ailleurs, comment accorder des peines éternelles avec la bonté de Dieu ? Quant au paradis, il est aussi chimérique que l’enfer et, d’ailleurs, s’il était tel qu’on nous le dépeint, il serait fort ennuyeux : « Que peuvent bien faire Énoch et Élie, dans le paradis, du matin au soir ? » Mais Dieu lui-même existe-t-il ? peut-être ; en tous cas, on ne s’en aperçoit guère ici-bas, à voir de quelle façon sont répartis les biens et les maux. « Les Libertins, dit Bossuet, déclarent la guerre à la Providence divine, et ils ne trouvent rien de plus fort contre elle que la distribution des biens et des maux, qui paraît injuste, irrégulière, sans aucune distinction entre les bons et les méchants. C’est là que les impies se retranchent comme dans leur forteresse imprenable[1]. »

  1. Sermons sur la Providence.