Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/34

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Mais alors, si tout cela est faux, ce n’est pas seulement l’Église, c’est aussi la Bible qui a menti : « Il est vrai que la Bible est un gentil livre, et qui contient force bonnes chosettes ; mais qu’il faille obliger un bon esprit à croire tout ce qu’il y a dedans, jusqu’à la queue du chien de Tobie, il n’y a pas apparence. » Et, en effet, dès les premières pages, n’y voyons-nous pas un serpent discourir ? « Cela se fit, sans doute, du temps que les bêtes parlaient. D’ailleurs, Dieu était bien peu avisé d’aller se servir d’un serpent pour tenter Ève, alors que les femmes ont peur des serpents. Dieu le condamna à ramper : il marchait donc avant ou s’il volait ? » Et ils concluent sur la Bible : il en faudrait retoucher une bonne moitié. Au fond, tous ces contes fabuleux, ces prétendus miracles et ces dogmes incompréhensibles, « ce sont les prêtres qui ont inventé tout cela pour faire bouillir la marmite. »

Si nous avons tenu à reproduire les expressions du Père Garasse, c’est qu’ici, évidemment, on peut s’en rapporter à lui : un Père n’invente pas des blasphèmes. Il semble bien, en effet, que, s’il a eu tort de leur prêter à tous des mœurs tellement crapuleuses « que toute l’eau de la Seine ne suffirait pas à laver leurs taches », il a, au contraire, pris sur le vif et peint au naturel leur athéisme gouailleur ; tout y est, le tour leste, le mot bouffon, jusqu’au ton même et au rire sournois du persifleur. Ce livre parut si vrai, à l’époque où il fut écrit, qu’on l’appelait alors, au dire de Naudé : l’Athéisme réduit en art. Or, à entendre parler les Libertins dans le livre de Garasse, on se croirait déjà au dix-huitième siècle : ils s’expriment, en effet, ils plaisantent, ils ricanent enfin comme fera Voltaire lui-même, et Diderot n’avait pas tort d’écrire : « Nous avons eu des contemporains sous le règne de Louis XIV[1]. » Si l’on ouvre l’Encyclopédie, à l’article Épicuréisme, on voit, nettement marquée, la filiation entre les deux siècles et comment, de Gassendi et de ses sectateurs, Chapelle, Molière, l’abbé de Chaulieu, en passant

  1. Art. Encyclopédie.