Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/35

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par la maison de Ninon de Lenclos ; puis, par les écoles d’Auteuil, d’Anet et du Temple, on arrive à l’école de Sceaux, où l’on rencontre Fontenelle et enfin Voltaire. Voilà bien, à peu près, toute la lignée de ces épicuriens et de ces sceptiques, qui se tendent la main d’un siècle à l’autre, à travers les saturnales de la Régence, et les Libertins sont bien les précepteurs des philosophes, comme Châteauneuf fut le parrain de Voltaire. Peut-on dire, pourtant, que le voltairianisme tout entier a précédé Voltaire et n’y a-t-il aucune distance à établir entre les Libertins et les Encyclopédistes ? Bien loin de là, puisqu’il n’y a, entre les uns et les autres, rien de moins que Descartes et Bayle et tout ce dont ces deux grands esprits ont agrandi et enrichi la libre pensée.

Tous les libertins, en effet, sont des douteurs, non des docteurs ; ils se dérobent à l’Église, ils ne lui déclarent pas ouvertement la guerre, et même les objections qu’ils font à ses dogmes dans leur for intérieur et tout à fait au fond de leur « arrière-boutique », ils ne les formulent pas au nom d’un principe, rival du principe d’autorité. Leur esprit ne s’élève pas si haut ; il se contente de railler en détail et ne songe pas à mettre des convictions véritables et raisonnées à la place de leur foi perdue — pas tout à fait et irrévocablement perdue ; car, faute d’avoir été remplacée par une conviction contraire, leur foi se rallume à l’heure suprême, comme un cierge mal éteint qui jetterait une dernière lueur avant de mourir. Bien peu, à « ce dernier rolle de la mort et de nous », suivant l’expression de Montaigne, conservaient, comme Saint-Évremond, la belle humeur d’un vrai libertin : ayant reçu la visite d’un ecclésiastique qui lui demanda s’il voulait se réconcilier : « De tout mon cœur, répondit Saint-Évremond, je voudrais bien me réconcilier avec l’appétit. » C’est, au contraire, avec la miséricorde divine que beaucoup, au dire de Bayle, voulaient se réconcilier à leurs derniers moments : « ils meurent tous comme les autres, bien confessés et communiés. » Et Bayle en donne précisément la raison que