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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/356

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la religion et que celle-ci, une fois ébranlée, menaçait d’entraîner dans sa ruine la morale elle-même. Déjà, au seizième siècle, la conscience publique avait commencé par protester contre les mauvaises mœurs du clergé ; puis, le clergé ne faisant qu’un avec la religion, elle s’en prit à la religion elle-même, si bien que d’une protestation morale naquit une « Réforme » religieuse. Au dix-septième siècle, c’est la religion qui est d’abord mise en doute ; mais, comme on ne conçoit pas alors, nous l’avons vu, une morale quelconque en dehors de la religion, renoncer à la religion revenait à se passer de morale et c’est pour cela que le libertinage des mœurs avait été si intimement lié au libertinage de créance : « Tout homme qui rejettera la religion, sur laquelle on lui dit que la morale est fondée, sera tenté de croire que cette morale est une chimère aussi bien que la religion qui lui sert de base ; c’est ainsi que les mots d’incrédule et de libertin sont malheureusement devenus synonymes[1]. » Au dix-huitième siècle, enfin, on finit par confondre, dans un égal mépris, ces trois choses, puisqu’elles sont indissolubles : l’Église, sa religion et sa morale. Ainsi la croyance, religieuse ou morale, ne faisant qu’un avec la religion extérieure, c’est-à-dire avec l’Église même, à chaque ruine qui se faisait au cours des siècles dans l’édifice religieux répondait, pour ainsi dire, une ruine analogue dans la conscience publique ; jusqu’à ce que cet édifice étant, ou paraissant aux philosophes, ruiné de fond en comble, ceux-ci aboutirent logiquement à l’athéisme le plus radical. Cet athéisme ne fut donc pas créé de toutes pièces par les philosophes, pas plus que la religion n’avait été inventée par les prêtres : mais il fut, pour les premiers, comme le suprême refuge où les accula l’intransigeance séculaire des seconds. Et ce qui enfonça plus avant dans leur athéisme les Encyclopédistes, c’est que l’Église, nous l’avons montré, ne s’opposait pas seulement aux progrès de la science et de la raison, mais même aux réformes sociales demandées pourtant et de plus en plus ardemment par l’opinion

  1. D’Holbach, ibid.