Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/357

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publique : ces réformes légitimes étant repoussées par l’Église, il semblait qu’il fallût, pour y travailler, commencer par sortir de l’Église : de sorte que les philosophes, athées par raison, semblaient l’être encore par patriotisme et par humanité.

On comprend mieux maintenant pourquoi les Encyclopédistes n’ont vu, ou n’ont voulu voir, que les maux causés par la religion : tout le bien qu’elle avait fait et pouvait faire encore était effacé à leurs yeux par les graves torts du clergé contemporain envers la science et la société à la fois. Ils oubliaient que ces naïves croyances du moyen âge, qu’ils raillaient sans merci, avaient donné pendant des siècles la paix du cœur à des milliers d’hommes ; et ce qu’ils ignoraient encore, c’est que la religion n’avait pas été seulement la grande consolatrice des déshérités, mais aussi, et à travers toute l’histoire, le plus puissant auxiliaire de la morale et de la civilisation. Si, en effet, pour cet animal coutumier qu’est l’homme, la morale n’a été, à l’origine, que l’ensemble des coutumes établies dans chaque tribu, c’est la religion qui, transformant ces coutumes en divines prescriptions, les a peu à peu implantées au fond des cœurs ; et c’est elle encore qui a assuré leur empire, en faisant des dieux eux-mêmes les vengeurs de toute infraction à ces coutumes désormais sacrées. La civilisation elle-même, progressant en même temps que s’élève l’idéal moral de l’humanité, est tributaire des religions qui se succèdent l’une à l’autre, puisque chacune d’elles ne supplante sa rivale qu’en faisant prévaloir une morale plus délicate et plus haute. Comme toutes les religions, d’ailleurs, sont par essence prosélytiques et envahissantes, on peut dire que chacune, à son tour, en transportant hors du pays qui fut son berceau, et en faisant rayonner sur le monde, un nouvel et meilleur idéal, a été véritablement le véhicule de la morale et de la civilisation : et ainsi à des degrés divers les différents cultes ont contribué à la culture générale[1].

  1. Turgot avait dit éloquemment, au moment même où commençait