Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/358

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Que, bien plus que toute autre religion, le christianisme ait servi, ce mot est trop faible, ait façonné à son image, la culture moderne, c’est ce qui est hors de doute. Aussi, sans prendre la peine d’énumérer, à l’encontre des philosophes, toutes les grandes idées et tous les nobles sentiments que nous devons et que les philosophes eux-mêmes, qui ne s’en doutaient pas, devaient à « l’infâme », nous nous contenterons de remarquer, parce que cette remarque s’applique à plus forte raison à tout le reste, que les excès même du rigorisme chrétien les plus réprouvés par les Encyclopédistes n’ont pas été sans rehausser l’idéal et, par conséquent, sans accroître la valeur de l’humanité : ces saints et ces ascètes du moyen âge, tant bafoués par Voltaire, tandis qu’ils domptaient en eux-mêmes, et qu’ils réfrénaient chez les autres, par la contagion de leurs exemples, l’égoïsme et les grossiers appétits, faisaient entrer dans le monde l’exaltation vertueuse et la folie de l’héroïsme chrétien ; et il est certain que la conscience morale de ceux qui sont venus après eux a hérité de leurs souffrances et s’est retrempée dans leurs larmes. — Est-ce à dire pourtant qu’il faille éternellement immoler sa pensée et sa vie au dogme et à l’ascétisme catholiques et ne peut-on imaginer une doctrine des mœurs qui, sans calomnier le passé moral de l’humanité, s’établirait sur un autre fondement que la volonté divine et proposerait aux hommes un idéal différent de l’idéal chrétien ? C’est ce que prétendit faire la morale des philosophes et nous devons examiner

    à paraître l’Encyclopédie, les éclatants services rendus par l’Église à la civilisation durant ce moyen âge si décrié par les philosophes : « Dans la ruine presque totale des lettres, vous seule, ô religion sainte ! formiez encore des écrivains qu’animait le désir d’instruire les fidèles ; et quand l’Europe fut la proie des barbares, vous seule apprivoisâtes leur férocité ; vous seule avez perpétué l’intelligence de la langue latine abolie ; vous seule, vous avez transmis, à travers tant de siècles, l’esprit de tant de grands hommes confié à cette langue, et la conservation du trésor des connaissances humaines, prêt à se dissiper, est un de vos bienfaits. » (Discours en Sorbonne, prononcé le 14 décembre 1750). On pourra comparer, sur ce même sujet, les beaux développements de Taine au début de son livre sur l’Ancien Régime.