Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/37

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époque, la libre pensée, échappée prématurément à la tutelle de l’Église, fit l’emportée et la raisonneuse, sans grand danger pour l’Église, jusqu’au jour où elle atteignit vraiment, avec Descartes, l’âge de raison. « La plupart des impies du siècle, dit Bourdaloue, sont impies par légèreté, non par raison. » C’est par raison que les Encyclopédistes seront athées ; or, cette raison, qui manquait aux premiers, c’est Descartes qui l’a léguée aux seconds et tandis que les Libertins, de simples « écartés », n’avaient su opposer à l’autorité catholique, c’est-à-dire universelle, de l’Église, que leurs opinions « particulières » ; c’est un principe, plus universel encore que celui de l’Église, c’est « la raison naturelle toute pure », commune à tous les hommes de bon sens, qu’invoque Descartes ; et il a beau mettre à part et révérer hautement « les lois de son pays et la religion de son enfance » : les esprits clairvoyants, comme Bossuet, pressentant l’immense danger qu’allait faire courir à la religion cette prétention nouvelle de n’admettre pour vrai que ce que nous concevons clairement, signalaient avec effroi « le grand combat qui se préparait contre l’Église sous le nom de philosophie cartésienne. » Déjà Descartes lui-même, bien qu’il tremblât à l’excès d’être « noté par l’Église », n’a-t-il pas donné de l’univers une explication toute mécanique, c’est-à-dire toute rationnelle ? Ceux qui viendront après lui, plus conséquents et plus cartésiens que lui-même, étendront à tout le domaine de la pensée sa méthode critique ; ils se diront comme fit Malouet : « L’incompréhensibilité des mystères révélés épouvantait ma raison ; la méthode de Descartes, que les théologiens n’admettent pas, m’avait extrêmement frappé : je ne voyais pas pourquoi on l’employait dans tel raisonnement pour l’exclure dans tel autre[1]. » Le dix-huitième siècle l’emploiera dans toutes les questions, et Chamfort aura pleinement raison de s’écrier : « Descartes nous a rendu l’instrument universel. »

La raison universalisée, c’est-à-dire proclamée en toutes

  1. Malouet, Mémoires, 1874, Plon. I, 68.