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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/38

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choses arbitre souveraine, n’est-ce pas, dans son fond, tout le dix-huitième siècle ? En littérature, par exemple, ce n’est pas aux Encyclopédistes, ni même à aucun de leurs contemporains, qu’il faut demander l’imagination poétique ou l’éloquente passion d’un Bossuet, d’un Racine ou d’un Pascal : c’est la philosophie, la raison même qui, de l’aveu de d’Alembert, « forme le goût du siècle. » Mais c’est surtout les questions politiques et religieuses, laissées sans réponse par le siècle précédent, que le dix-huitième va aborder et résoudre en cartésien : la raison appliquée à la politique, c’est l’Esprit des Lois. « Muses divines, s’écrie Montesquieu, je sens que vous m’inspirez. Vous voulez que je parle à la raison : elle est le plus parfait, le plus noble et le plus exquis de tous les sens. » Et la raison expliquant à sa manière la religion, c’est l’esprit même de l’Encyclopédie. Ainsi les Encyclopédistes ont beau railler les Tourbillons et le spiritualisme de Descartes, ils savent très bien au fond et, par moments, ils reconnaissent et proclament très haut tout ce qu’ils doivent au génie le plus émancipateur qui fut jamais. L’Encyclopédie déclare, dès ses premières pages, que « c’est Descartes qui a secoué le joug de l’autorité ; par cette révolte, il a rendu à la philosophie un service plus essentiel que tous ceux qu’elle doit à ses illustres successeurs. » Mais ce n’est pas la philosophie seulement, c’est la pensée humaine que Descartes a émancipée, et ni ses prédécesseurs depuis le moyen-âge, ni ses successeurs dans les temps modernes, n’ont rien dit d’aussi nouveau et d’aussi révolutionnaire que cette simple parole : « Je résolus de n’admettre pour vrai que ce qui me paraîtrait évidemment être tel. »

Ce qui allait être vrai désormais, ce n’est plus ce qu’avait décrété l’Église, comme dans le catholicisme ; ce n’est plus ce qui était écrit dans un livre, comme le voulait le protestantisme ; c’est ce que l’homme, éclairé simplement de la lumière naturelle, jugerait vrai.

Or cette vérité, qu’on veuille bien le remarquer, les sceptiques et les libertins eux-mêmes seront obligés de