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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/39

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l’admettre, car Descartes a commencé à douter avec eux pour les amener à raisonner avec lui. Oui, leur dit-il, les sens nous trompent, les opinions humaines se contredisent, on ne peut distinguer la veille du sommeil ; en un mot, rien n’est sûr — sauf ceci : que moi, qui suis trompé, qui doute de toutes choses, je ne puis pourtant douter de mon doute, c’est-à-dire, de ma pensée. Dire : je pense, c’est dire : je suis ; et cela est certain, inébranlable, parce que cela est évident à la raison. Et cette raison n’est pas différente de la raison « particulière » des libertins, car Descartes « s’est résolu de ne plus chercher aucune science que celle qui pourrait se trouver en lui-même. »

Ainsi est proclamée par Descartes, à la fois avec et contre les libertins, (dont il adopte, et transforme en son contraire, le scepticisme), la souveraineté absolue de la raison. Avec le siècle suivant, on va faire un pas de plus et décisif : les doutes élevés cette fois contre les dogmes même de l’Église, qu’est-ce qui les a suggérés aux philosophes ? c’est la raison. Honneur donc et hommage à la Raison qui a détruit les faux dieux. Brutus fut jadis proclamé roi par le peuple parce qu’il avait tué le tyran : le dix-huitième siècle va diviniser la raison qui a détrôné le dieu tyrannique d’Israël et ses faux prophètes.

Des trois grands principes du dix-huitième siècle, le premier, la nature, devait renaître chez des artistes amoureux des belles formes, et l’Italie de la Renaissance l’avait remis en honneur ; le deuxième, la raison, apparut, comme il fallait s’y attendre, dans le pays du bon sens et dans le siècle par excellence de la raison classique ; quant à la tolérance, elle ne pouvait être proclamée que dans un pays vraiment libre, c’est-à-dire qui ne ressemblât pas à la France de Louis XIV. Or, il y avait précisément, au dix-septième siècle, un petit pays où régnait pleine et entière la liberté de penser et d’écrire, un pays où Spinoza avait pu, par exemple, faire paraître son hardi Traité théologico-politique : ce pays, c’était la Hollande, laquelle fut, au dix-septième siècle, et suivant l’expression de Bayle, le rempart