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de la liberté de l’Europe. « Ce rare bonheur, écrivait Spinoza dans la préface de son Traité, m’est échu en partage de vivre dans une république où chacun dispose d’une liberté parfaite de penser et d’adorer Dieu à son gré. » Enfin, ce principe de la tolérance ne pouvait être mieux défendu que par un sceptique qui serait (ou qui aurait été) assez religieux pour parler sérieusement de la religion et soutenir ses droits au respect ; assez détaché en même temps des différentes formes religieuses pour penser que la vérité n’est pas le privilège de telle confession ou de telle école de théologie. Il y avait justement alors en Hollande un homme qui avait eu assez d’indépendance d’esprit pour changer par deux fois de religion et qui, au fond, n’avait peut-être qu’une conviction bien arrêtée : c’est que personne au monde ne peut se vanter de posséder la vérité tout entière. Or, il est à remarquer que la tolérance ne va guère sans un certain scepticisme : Montaigne en est un exemple, et Bayle savait Montaigne par cœur. Celui qui croit posséder la vérité absolue ne peut se défendre, à l’égard de tout homme qui ne pense pas comme lui, d’un certain dédain, qui est le commencement de l’intolérance. Un sceptique seul pouvait au seizième siècle écrire des phrases pareilles à celles-ci : « À tuer les gens, il faut une clarté lumineuse et nette ; » ou encore : « C’est mettre ses conjectures à bien haut prix que d’en faire cuire un homme tout vif[1] ».

C’est ainsi que la libre Hollande et, dans la Hollande, le sceptique Bayle était comme prédestiné à proclamer dans le monde, qui l’avait si longtemps méconnue, la tolérance religieuse. Bayle, en effet, n’a pas été seulement, comme l’a appelé Joseph de Maistre, « le père de l’incrédulité moderne » et, à ce titre, le plus grand pourvoyeur de l’Encyclopédie et de Voltaire : il a été encore le promoteur de cette noble idée de l’humanité, qui sera l’honneur du dix-huitième siècle. Il serait trop long d’énumérer

  1. Essais, liv. III, chap. xi.